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vous. Il me dit qu’il voyait la chose exactement comme moi, qu’il désirait entrer en relations avec vous, qu’il avait à cœur de réaliser en tout les désirs de la reine et du prince, autant que ce serait compatible avec ses principes politiques connus et exprimés. Oui, dans tout ce qui concerne l’organisation de la cour et les vues personnelles des augustes époux, il suffirait d’un signe pour lui indiquer la voie à suivre. Il ne céderait à aucun sentiment de parti, ne permettrait aucune manœuvre de parti qui pût gêner en quoi que ce fût les convenances de sa majesté ou de son altesse royale. Il tenait surtout à ce qu’on sût bien en haut lieu que jamais la pensée ne lui était venue de manquer d’égards envers la reine en contrariant ses désirs. Si vous vouliez bien aller le voir, n’importe à quelle heure, et là vous entretenir avec lui librement, à cœur ouvert, vous pourriez compter sur sa loyauté et sa discrétion. Par-dessus toute chose, si vous lui faites une confidence en le priant de ne pas même en dire un mot au duc de Wellington, je puis vous donner l’assurance qu’il se conformera scrupuleusement à votre désir. Je vous en prie, qu’une ligne de vous me fasse savoir que vous ne désapprouvez pas ma démarche… « 


La démarche de lord Liverpool ne pouvait déplaire au baron de Stockmar. Le conseiller de la reine alla trouver le premier ministre. Il y eut d’abord quelque gêne dans leurs entretiens ; malgré le conseil de lord Liverpool, il leur était difficile de s’ouvrir l’un à l’autre en toute liberté. Stockmar ne pouvait se défendre d’une certaine défiance, il n’oubliait pas aussi aisément que le prince la conduite de sir Robert Peel dans les deux questions de l’apanage et de la préséance ; quant à sir Robert, quoique rassuré au sujet du prince dont la haute sérénité avait dissipé tous ces nuages, il craignait que la reine ne lui eût pas encore pardonné. De là un certain embarras pendant les premières entrevues. Peu à peu cependant, les doutes disparurent, la confiance s’établit. On retrouve la trace de ces sentimens avec leurs délicatesses et leurs nuances dans ces deux notes de Stockmar, datées l’une du 14 octobre, l’autre du 2 décembre 1841 :


« 14 octobre 1841.

« J’ai grande confiance dans la capacité de Peel comme homme d’état. Son côté faible, c’est qu’il se défie trop et de lui-même et des autres. Aussi convient-il mieux aux temps calmes qu’aux temps d’orage. Cependant ce sera un vrai premier ministre à bien meilleur titre que son prédécesseur, et, plein de foi dans son sentiment de l’honneur, j’espère que la prérogative royale sera bien mieux défendue par lui que par Melbourne. Au reste, je sais de science certaine que Peel ne croit pas encore posséder chez la reine la confiance qu’il désire et dont il a besoin. Au contraire, il regarde le prince comme son ami. C’est chose bien