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Étonnerai-je beaucoup en avançant qu’ils ont une valeur de documens, et que le futur historien des mœurs françaises y trouvera plus tard une série de précieuses indications sur le ton et les manières de notre société pendant le second empire ? C’est peut-être l’époque où le haut monde français s’est amusé avec le moins de contrainte et le moins de souci de l’opinion de la galerie, non pas comme en d’autres temps par bravade cynique du jugement public, mais par sentiment presque légitime de l’irresponsabilité que lui créait un état social devenu absolument démocratique. Expliquons ce mot d’irresponsabilité, qui donne en grande partie la clé de nos mœurs d’hier et aussi d’aujourd’hui, justement stigmatisées par nombre de moralistes sévères dont les censures auraient cependant plus d’autorité si d’ordinaire elles ne frappaient pas à côté de la cause du mal. C’est bientôt fait d’accuser le monde des scandales qui éclatent de temps à autre et des histoires équivoques qui se chuchotent presque chaque jour ; mais dans une société où règne l’égalité la plus complète et où chacun ne relève que de lui seul, dites-moi s’il est une classe chargée d’endosser la responsabilité d’actes absolument individuels. Quant à l’individu, quelle raison a-t-il de s’y contraindre et d’y mettre le frein à son amour du plaisir ? Que vous importe, s’il vous plaît, que je m’amuse d’une manière plus ou moins scandaleuse, puisque ce n’est pas en vertu d’un privilège insolent que je m’amuse, et en quoi êtes-vous bien venus à me reprocher mes mœurs, si scabreuses qu’elles soient, puisque je ne puis vous en humilier comme autrefois en ajoutant à leur indignité la tyrannie de mon autorité ? Me parlerez-vous par hasard de l’exemple que je vous dois ? Mais pour avoir le devoir de vous en donner de telle ou telle sorte, il faudrait nécessairement que j’eusse sur vous un droit quelconque, et par conséquent que cette égalité qui vous est chère, à juste titre peut-être, reçût une grave atteinte, car vous n’espérez pas sans doute trouver dans aucune de nos nombreuses constitutions un article qui m’impose l’obligation de me constituer instituteur au bénéfice de vos âmes, dont je respecte trop la liberté pour en prendre aucun souci. Ainsi raisonne instinctivement l’individu dans une société démocratique, et je ne saurais dire que sa logique instinctive soit mauvaise. Il s’y rue au plaisir avec d’autant plus de fougue qu’il sent qu’il n’entraîne qui que ce soit dans la solidarité de sa conduite, et que ses actes n’ont de conséquences que pour lui seul. Je me trompe cependant, il y a quelqu’un sur qui retombe en plein et entièrement la responsabilité des désordres mondains, et ce quelqu’un c’est le chef même de l’état, lorsque la démocratie a revêtu par hasard la forme monarchique. Ce fut là beaucoup l’histoire du second empire ; avis aux futurs maîtres de nos destinées, si notre démocratie doit jamais faire retour