Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les tories ne lui avaient montré que de la défiance, et à l’occasion de son mariage ils l’avaient profondément blessée. Que la reine essayât de soutenir le cabinet de lord Melbourne aussi longtemps que possible, il n’y a rien là qui puisse surprendre ; mais que voulait le ministère en donnant certains gages aux radicaux ? Comment enfin expliquer ce rapprochement étrange indiqué par lord Grey : — les radicaux et la reine ? Entrer dans ces explications, ce serait nous éloigner de notre sujet, car nous ne traçons pas ici le tableau parlementaire d’une période, nous nous bornons à recueillir ce qu’on peut appeler les pages intimes de l’histoire. Disons seulement que les grandes réformes agricoles, commerciales, industrielles, préparées par les whigs, avaient encore plus d’une phase à traverser avant de s’assurer une majorité victorieuse. De là, mille hésitations. Les whigs se divisaient sur la marche à suivre. Les uns, pour se maintenir au pouvoir, ne demandaient pas mieux que de tendre une main aux radicaux ; les autres, craignant d’être entraînés trop loin, se rejetaient un peu en arrière. C’est ainsi que la majorité, sans cesse faite et défaite au gré des circonstances, n’offrait plus rien de solide.

Le prince Albert eut ici la première occasion de montrer son tact politique. Tout à l’heure, quand la reine était malade, nous l’avons vu tenir sa place auprès des ministres, — autant que le permet la loi anglaise, — s’entretenir avec eux des choses courantes, s’initier même aux grandes affaires ; cette fois, ce ne seront plus seulement des conversations, il aura une action directe à exercer pour préparer le remplacement des whigs par les tories. Dès le mois de mai 1841, il engage des négociations avec sir Robert Peel. Il en a prévenu lord Melbourne qui lui a donné son plein assentiment. « Ah ! que n’êtes-vous ici ! » écrit-il à Stockmar, mais c’est là un sentiment de modestie et non une parole de défaillance ; Stockmar ne se fût pas conduit avec plus d’habileté. La principale préoccupation du prince en vue de la crise prochaine était d’éviter ces conflits intérieurs devant lesquels sir Robert Peel avait dû se retirer en 1839. Tout fut conduit de part et d’autre avec autant de correction que de courtoisie. L’éditeur des Mémoires de Stockmar nous dit que sir Robert Peel montra dans ses pourparlers une délicatesse, une droiture, une conscience, une largeur de vues telles qu’on en voit rarement en des circonstances pareilles. Ces lignes contiennent un rare éloge du prince Albert, car on pense bien que sir Robert Peel n’aurait pas facilement renoncé à ses anciennes exigences ; c’est le prince qui trouva un arrangement aussi acceptable pour la reine que pour le futur ministre. Il fut convenu que, si le ministère Melbourne se retirait, la reine déciderait les dames de la chambre à résigner d’elles-mêmes leurs fonctions. Il s’agit, on se le rappelle, des nobles