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Nous avons raconté déjà ce qui s’était passé en 1839 ; mis en minorité dans une discussion d’affaires coloniales (il s’agissait de la constitution de la Jamaïque), le ministère whig était sur le point de céder la place à sir Robert Peel, lorsque les conditions de celui-ci au sujet des dames de la chambre rompirent subitement les pourparlers. Lord Melbourne et ses collègues reprirent leurs portefeuilles sans avoir consolidé leur pouvoir. On n’avait pas vu depuis longtemps une situation parlementaire si languissante. Il semblait que le ministère ne pût ni vivre ni mourir. « Savez-vous, — disait lord Brougham avec sa mordante ironie, — savez-vous ce que lord Melbourne attend pour se retirer ? j’ai fini par le découvrir ; il attend qu’il ait constitué une majorité. » Le fait est que cette majorité n’apparaissait un jour que pour s’évanouir le lendemain. Le triomphe diplomatique de lord Palmerston, au 15 juillet de l’année précédente, n’avait fait que retarder la chute inévitable du cabinet. Examinez le mouvement du foreign office pendant les premiers mois de 1841, vous verrez lord Palmerston occupé à liquider les affaires de son département, comme on met sa maison en ordre à la veille d’un voyage. Stockmar, avant de quitter Windsor, écrit dans son journal : « Je viens d’avoir une longue conversation avec lord Melbourne ; il pense que son ministère est exposé à toutes les chances, à tous les hasards, il ne voit nulle part la moindre garantie de stabilité. » Un peu plus tard, à Cobourg, il écrira dans une note datée du 8 juillet : « Je ne crois pas que le ministère puisse se traîner au-delà de l’ouverture du parlement ; il est trop faible pour vivre. Il a perdu la confiance de tous, même celle de son propre parti. Lord Grey me disait à Londres : « On n’a jamais vu pareil ministère ; il n’a littéralement personne pour lui, excepté la reine et les radicaux. Tout le reste lui est contraire. » Il ajoutait que, dans certaines circonstances, il se verrait obligé de passer lui-même à l’opposition. D’après tout cela, il suffira d’un petit choc extérieur, et l’occasion n’en manque jamais, pour renverser le ministère ; il s’écroulera comme une maison réduite en cendres (wie ein zusammengebranntes Haus.) »

Nous n’avons pas le dessein de raconter ici la chute du ministère de lord Melbourne ; les causes qui l’ont produite sont très complexes et demanderaient des explications minutieuses. Pourquoi ce ministère, au dire de lord Grey, n’avait-il que deux appuis, la reine et les radicaux ? La reine le soutenait pour les raisons que nous avons vues ; elle n’avait pas connu d’autres ministres depuis son avènement au trône ; lord Melbourne avait toujours eu pour elle, avec le respect du sujet pour la majesté royale, une sorte de sollicitude paternelle, et quel charme dans la conversation du vieux gentilhomme ! que de bonne grâce, que de bonne humeur ! Au contraire,