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devait changer la politique de l’Europe, voilà ce que les esprits les plus sages avaient cru voir pendant le rapide passage du tsar à Berlin. C’était comme un éclair et un éblouissement. Voyez maintenant ce victorieux revenu de Londres à Saint-Pétersbourg et dictant à M. de Nesselrode le mémorandum qui doit masquer sa déroute. L’histoire diplomatique du XIXe siècle a désormais sa retraite d’Angleterre comme l’histoire militaire avait sa retraite de Russie, avec cette différence que l’une était toujours héroïque et que l’autre est légèrement ridicule.


III

Après la visite un peu timide de Frédéric-Guillaume IV, après la visite fastueuse du tsar Nicolas, on ne saurait imaginer un contraste plus grand que le voyage de Louis-Philippe à Windsor. Il n’y avait pas quatre mois que le tsar avait quitté l’Angleterre, lorsque le roi des Français débarqua dans Portsmouth. L’opposition des deux scènes n’en fut que plus dramatique. Là, du premier jour au dernier, malgré la splendeur des réceptions et l’éclat inaccoutumé de certaines fêtes, tout est simple, franc, naturel. De la part de l’illustre visiteur, il n’y a rien à cacher comme pour le roi Frédéric-Guillaume IV, rien à étaler comme pour le tsar Nicolas. Frédéric-Guillaume IV était invité expressément à titre de parrain du prince de Galles, et, tout en s’attachant avec scrupule au caractère de sa mission, il avait essayé timidement et mystérieusement de faire un peu de politique. Le tsar Nicolas, sans aucune invitation, s’était annoncé lui-même, et, bruyant, familier, plein de verve et de brio, jouant avec un art merveilleux la candeur et le désintéressement, il avait tout fait pour détruire l’amitié de la France et de l’Angleterre. Louis-Philippe n’a aucune affaire subtile à dissimuler, aucune tentative équivoque à poursuivre ; il vient dire à l’Angleterre ce qu’il dit sans cesse à la France et à l’Europe. Il n’a pas eu comme le tsar à s’inviter en personne, et on peut dire qu’il a reçu mieux encore qu’une première invitation ; il a reçu au château d’Eu une visite qu’il va rendre au château de Windsor. Encore une fois, rien de plus simple. Tout cela est clair et limpide comme cette journée d’octobre où le Gomer appareillait dans le bassin du Tréport.

Ici encore, comme pour la visite de la reine au château d’Eu, il faut emprunter quelques lignes à M. Guizot. C’est un charme de voir cette plume austère tracer finement de si jolies marines. Notez que le grand lutteur parlementaire était malade, que tant de coups donnés et reçus avaient ébranlé sa frêle machine, que les médecins lui conseillaient de mettre largement à profit l’armistice