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Est-il bien sûr pourtant que Stockmar ait tout su ? Sir Robert Peel et lord Aberdeen lui ont-ils raconté tout ce qui s’est passé entre le tsar et le gouvernement de la reine ? N’y a-t-il pas eu des arrangemens secrets en vue de l’avenir, des clauses ou du moins des promesses que leur objet même devait tenir cachées à tous les yeux ? Comment expliquer autrement certain memorandum envoyé de Saint-Pétersbourg à Londres dans la seconde quinzaine du mois de juin 1844, c’est-à-dire quelques jours après que le tsar Nicolas fut rentré dans son empire ? Ce memorandum est resté secret pendant dix ans. Il n’a été communiqué au parlement que dans la session de 1854, à l’occasion de la guerre de Crimée, en même temps que les fameuses dépêches de sir Hamilton Seymour sur l’homme malade. En voici la substance : « 1o l’Angleterre et la Russie ont un intérêt commun à voir maintenir le statu quo de la Turquie ; 2o cependant la Turquie renferme bien des élémens de ruine ; 3o les dangers d’une catastrophe peuvent être bien diminués, si la Russie et l’Angleterre s’entendent le cas échéant ; 4o l’empereur, pendant son séjour à Londres, est convenu avec les ministres anglais que, s’il arrivait quelque chose d’imprévu en Turquie, la Russie et l’Angleterre se concerteraient préalablement entre elles sur ce qu’elles auraient à faire en commun ; 5o la Russie et l’Autriche sont déjà d’accord ; si l’Angleterre se joint à elles, la France sera bien obligée de se conformer au plan de conduite établi entre les trois cabinets. » Il y a donc eu entre le tsar et le ministère de sir Robert Peel une convention formelle ? Voilà un fait qui, s’il était prouvé, détruirait les conclusions de Stockmar. Ou bien ce memorandum affirme quelque chose de contraire à la vérité, ou bien le baron de Stockmar, le confident et le conseiller de la reine Victoria, n’a pas su la vérité tout entière.

Le fils du baron de Stockmar, à qui nous devons la publication de ses souvenirs, a parfaitement démêlé ce qu’il y a ici d’obscur et de contradictoire. Stockmar, on n’en peut douter, nous répète en ses notes tout ce que lui a raconté lord Aberdeen ; puisqu’il ne parle pas d’une convention formelle (Verabredung) entre le tsar et le foreign office pour un concert préalable en vue de la catastrophe, faut-il croire que le mémorandum russe de juin 1844 affirme une chose qui n’est pas ? Il est impossible de s’arrêter à une pareille explication. Voici évidemment ce qui s’est passé : le tsar a mis en avant cette idée d’une convention, le ministère anglais n’avait pas à la repousser et ne l’a pas repoussée en effet ; seulement, tandis que le tsar affectait de voir là une espèce d’engagement, lord Aberdeen et ses collègues se considéraient comme absolument libres. Une fois la catastrophe arrivée, le gouvernement de la reine eût