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agréable que pénible. Il sourit amicalement, avec une certaine incrédulité toutefois, puis il parla de l’armée belge et du nombre d’hommes que le pays pourrait mettre sur pied en cas de guerre. Il parut avoir des doutes sur leur esprit, leur loyauté ; il trouvait que le roi se montrait trop rarement à ses troupes pour échauffer chez le soldat l’enthousiasme nécessaire et affermir sa fidélité. Il disait qu’en général les Belges étaient grossiers, turbulens, mobiles, offrant peu de consistance ; sur quoi je remarquai simplement que, bien conduits, ils avaient toujours été de bons soldats sous les gouvernemens les plus divers, et que cent mille Belges en tout cas seraient un poids considérable dans la balance. Je terminai ma réplique en confessant que, d’après mon opinion personnelle, le désir du roi, le désir de rattacher la monarchie belge à la confédération germanique, était simplement une chose inexécutable dans les conjonctures présentes, après que l’Europe du nord avait tout fait depuis 1830 pour éloigner la Belgique de la Prusse et de l’Allemagne et la pousser vers la France. L’état de choses produit par cette politique, et qui subsistait encore, ne pouvait être changé subitement ; la première condition d’un changement ultérieur de la politique belge était que le roi Léopold eût des motifs de sérieuse confiance dans la loyauté et l’amitié de la Prusse. Selon moi, l’union douanière de la Belgique avec la France rendrait la Belgique française, exactement comme son union douanière, avec l’Allemagne la rendrait allemande. Cette dernière hypothèse était une chose que la France, dans sa situation et ses dispositions présentes, ne pouvait concéder et ne concéderait pas. Quant à la garantie désirée par le roi, à savoir que la Belgique en cas de crise ne se jetterait pas exclusivement entre les bras de la France, je ne voyais pas où elle pourrait se trouver, sinon dans les sentimens, dans les intentions politiques droites et loyales de Léopold. Mais ces sentimens, ces intentions ne pouvaient naître que du sol même de la politique belge, et si le roi de Prusse prouvait par des actes qu’il considère le maintien de l’indépendance de la Belgique comme un principe arrêté de la politique prussienne.

« Stolberg avait déjà par deux fois prévenu sa majesté que sa voiture était prête. Je pris congé sur ces mots, et le roi partit pour Londres. »


C’est ainsi que le roi de Prusse, suivant ses déclarations officielles, s’abstenait de toute politique dans ce voyage à Windsor. On comprend maintenant qu’il ait résisté aux prières du comte Bresson et refusé de se rencontrer en France avec la famille royale. Cette rencontre eût gêné ses mouvemens. Venu directement à Londres, il est bien plus à l’aise. En réalité, c’est la France qui le préoccupe. On a déjà vu sa lettre du mois de décembre 1841 : « Si Thiers ne revient pas au pouvoir, si aucun corps d’armée ne se rassemble sur