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en personne s’acquitter de ses fonctions. Cinq années auparavant, il avait fait, comme prince royal, le voyage d’Angleterre ; il en avait conservé le meilleur souvenir et il exprimait souvent le désir de revoir ce grand pays. Préoccupé comme il l’était de la réorganisation de l’église protestante en Prusse, c’étaient surtout des questions ecclésiastiques, des questions de liturgie et de clergé qui l’attiraient à Londres. Il viendra, disait-on, il viendra certainement, et déjà les parlementaires anglais attribuaient à cette visite royale une signification politique exagérée.

Cette manière de voir ne tarda guère à être connue dans les sphères supérieures de la société européenne. Le monde diplomatique des grandes capitales est une espèce de forum d’élite où se concentrent les nouvelles d’état. Le roi de Prusse fut un peu ému de l’importance qu’on attachait d’avance à sa démarche. Devait-il se rendre à Windsor ou simplement s’y faire représenter ? Il demanda conseil au prince de Metternich, dont la sagesse lui inspirait toute confiance ; on sait qu’il ne prenait pas de détermination grave sans l’avoir consulté. Le prince fit une réponse évasive. C’était déjà un signe inquiétant. Ce signe devint plus clair lorsque des influences autrichiennes, russes, françaises, à la cour de Berlin, mirent tout en jeu pour le détourner de son projet. Il y eut même un parti prussien qui agissait dans le même sens, craignant les fantaisies ecclésiastiques du roi et son idée d’imposer au protestantisme de l’Allemagne du Nord une sorte de constitution anglicane. Ce n’est pas tout : la cour de Saxe elle-même, chose curieuse à cette date, éprouvait de sérieuses appréhensions. Elle redoutait, Stockmar nous l’apprend, qu’une trop intime union de la Prusse et de l’Angleterre n’eût pour ses intérêts des conséquences funestes. On se rappelait à Dresde que la Prusse s’était agrandie en 1815 aux dépens du royaume de Saxe ; n’avait-elle pas l’ambition et le dessein de s’agrandir encore ? Ce sont là des traits qu’il n’est pas inutile de noter en passant. Hâtons-nous d’ajouter toutefois que ces visées occultes étaient bien étrangères à la politique personnelle de Frédéric-Guillaume IV ; la seule chose qui le poussât vers Londres, outre le désir de répondre plus complètement à la flatteuse invitation de la reine, c’était la joie de revoir un grand pays où se déployait librement une vie religieuse comme celle qu’il rêvait pour la Prusse. Son ministre des affaires étrangères, M. le comte Maltzan, le soutint dans ses irrésolutions ; il lui conseilla de ne tenir aucun compte des intrigues qui s’agitaient autour de lui. La cour de Windsor l’avait invité pour un devoir de famille ; il devait s’y rendre à ce titre, sans se soucier des interprétations de l’Europe.

Quand le roi eut pris son parti, notre ambassadeur à Berlin, M. le comte Bresson, demanda que Frédéric-Guillaume IV passât au