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Russie établie sur les Balkans ou sur le Bosphore ne rencontrerait que des sujets toujours portés à la révolte ou des voisins toujours prêts à se joindre à ses adversaires,

Le panslavisme ne trouverait guère un meilleur accueil chez les Slaves de la Turquie. L’opinion contraire est, je crois, le fruit de l’ignorance ou de la prévention. J’ai plusieurs fois visité l’empire turc, j’ai eu l’occasion de voir sur le Danube ou sur l’Adriatique des patriotes slaves, serbes, monténégrins, bulgares ; je les ai toujours trouvés fort mécontens du régime ottoman, mais fort décidés à ne lui point substituer la domination russe. J’ai rencontré, je l’avoue, un ou deux hommes parlant ouvertement de la création d’un état, d’un empire slave. « Vous voulez dire un empire russe ? leur demandai-je. — Non pas russe, répliquaient-ils avec une sorte d’indignation, mais bien slave, en dehors de la Russie comme de l’Autriche… » Ces peuples ont l’habitude en effet de réserver pour eux-mêmes ce nom de Slave, qui, dans la bouche des riverains de l’Adriatique, désigne habituellement la branche jougo-slave ou le rameau serbo-croate des ethnologues. Ce que les plus exigeans ou les plus aventureux entendent par un état slave, c’est d’ordinaire une grande Serbie, tout au plus un état serbo-bulgare ou une confédération jougo-slave réunissant dans une même patrie tous les Slaves du sud orthodoxes. Si chez les populations serbes ou bulgares il y a quelques tendances panslavistes, c’est dans ce sens restreint qu’il faut habituellement entendre leur panslavisme.

Les Slaves de Turquie appartiennent à cette branche jougo-slave à laquelle se rattachent en dehors d’eux les Croates, les Dalmates et les Slovènes de l’Autriche, mais ils se divisent en deux rameaux fort différens par le caractère, bien que fort semblables de mœurs et d’éducation, les Serbes et les Bulgares. Chez les premiers, les plus actifs, les plus entreprenans, les plus belliqueux, l’on chercherait en vain un panslaviste dans le sens donné à ce mot en Occident. Habitans de la Serbie proprement dite ou de la Montagne-Noire, Bosniaques ou Herzégoviniens sont également jaloux de leur autonomie. Les deux principautés en guerre avec la Turquie y sont trop habituées pour y renoncer volontairement, et si Belgrade et Tsettinié comptent sur la Russie, c’est comme sur une alliée qui doit les aider à s’affranchir de la domination ottomane. Les Serbes ont leurs traditions, leurs songes de grandeur ; ils se croient, eux aussi, de hautes destinées, mais la démocratie slave pour laquelle combat ou conspire l’Omladina serbe n’entend pas vivre à l’ombre des ailes de l’aigle à deux têtes moscovite. Si quelques Russes je sont jamais fait illusion à ce sujet, la dernière campagne a pu les éclairer. Les volontaires de Moscou sont accourus à Belgrade en libérateurs ; les