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De tous les peuples de la péninsule des Balkans, les Bulgares sont à la fois le plus nombreux et celui qui croît le plus rapidement en nombre, le plus travailleur et le plus paisible, le plus moral et peut-être aussi le plus intelligent, au moins le plus désireux de s’instruire. Sur ce dernier point, ces Bulgares, longtemps les plus arriérés de l’Orient, longtemps raillés pour leur pesanteur d’esprit, le cèdent à peine aujourd’hui aux Grecs, dont le goût pour l’instruction est notoire. Au lycée franco-turc de Constantinople, où les diverses races et religions de l’empire, assises sur les mêmes bancs, concourent pour ainsi dire entre elles, le Bulgare tenait, dans les dernières années, le premier rang[1]. De grands efforts en faveur de l’enseignement primaire avaient été faits récemment par les Bulgares eux-mêmes, de nombreuses écoles, soutenues par des contributions volontaires, s’élevaient dans leurs bourgades, et, chose remarquable, ces écoles ont été avec les- églises le principal objet de la fureur des Circassiens et des bachi-bozouks. Les instituteurs, souvent même les institutrices, ont été partout les premières victimes. La région des Balkans, qui, grâce à l’esprit travailleur et à la patience de ses habitans, était la plus riche province de l’empire ottoman, a été ainsi dévastée à la fois moralement et matériellement. Pour relever ces doubles ruines, les Bulgares ont besoin de garanties que le trésor ottoman, dont ce peuple agriculteur était le principal pourvoyeur, est le premier intéressé à leur voir accorder. Ce peuple du reste, qui, à l’inverse de ses voisins serbes ou grecs, n’a jamais pris qu’une faible part aux insurrections, ce peuple avant tout paisible et patient, est le moins exigeant de tous ceux qui vivent sous la domination turque. De tous les raïas, les Bulgares sont ceux qui se laisseraient contenter à moins de frais, et s’il est des chrétiens que la Porte puisse se rattacher par d’habiles concessions, ce sont eux.

Il y a des difficultés naturellement inhérentes à toute institution autonome ; il s’en rencontrera ; je dois le dire, de particulières et de différentes pour les Bosniaques et les Bulgares. Dans la Bosnie et l’Herzégovine, les obstacles sont le caractère fier et belliqueux des habitans, le penchant de beaucoup d’entre eux pour la Serbie ou le Monténégro, enfin la division des chrétiens mêmes en deux églises dont la rivalité va jusqu’à l’hostilité. C’est ainsi la région de la Turquie d’Europe où les chrétiens, tout en étant en majorité, sont le plus désunis, et c’est en même temps celle où les musulmans, qui forment une nombreuse minorité, sont le plus, riches,

  1. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1874, l’étude de M. de Salve sur l’Enseignement en Turquie.