mesure. Elle ne demandait cependant, pour mettre la nouvelle constitution en jeu, qu’un armistice de six mois. C’en devait être assez pour faire les élections et réunir les chambres turques. Tout était déjà fixé ; le chiffre des députés accordé à chaque province était déterminé, la répartition des sièges entre musulmans et chrétiens officiellement réglée. La Bulgarie devait avoir quatre députés chrétiens et autant de musulmans,.la Bosnie et l’Herzégovine l’une trois, l’autre deux représentans de chaque religion, bien que dans ces trois provinces les chrétiens l’emportassent notablement en nombre sur les mahométans. Le jour même de la convocation des chambres a, je crois, été annoncé, et les futurs députés ont été prévenus de l’indemnité de séjour ou des frais de voyage sur lesquels ils devaient compter.
Le grand malheur de la Turquie est de ne pouvoir guère opérer les réformes qu’on lui demande, alors même qu’elle en a le désir ; mais de tous les plans le moins pratique, le plus manifestement inefficace, si même il était mis à exécution, est assurément le régime constitutionnel. Veut-on prendre de tels projets au sérieux, on est vite convaincu que pour les chrétiens de la Turquie une constitution turque devrait plutôt être un objet de crainte qu’un motif d’espérance. Que peut être en effet une représentation nationale en Turquie, de quelque titre qu’on la décore, de quelque origine qu’elle provienne ? Les chrétiens y seront toujours en minorité devant les musulmans, la partie européenne devant la partie asiatique. La majorité appartiendra à l’islam et l’influence à l’Asie ; le pouvoir abandonné au parlement tomberait aux mains des Turcs d’Anatolie, à la fois bien moins éclairés et bien plus fanatiques que leurs compatriotes du Bosphore. Avec la diversité de races et de langues de l’empire, en Asie comme en Europe, il ne saurait y avoir d’autre drapeau, d’autre signe de ralliement que la religion. L’islamisme deviendrait plus que jamais le lien ou le ciment de l’empire, le Koran serait plus encore que par le passé le code national, et le chéri la loi suprême de l’état. Ulémas et softas, derviches ou santons, seraient les vrais inspirateurs de la chambre des députés. Quand il échapperait par miracle au fanatisme religieux, le parlement ottoman serait par politique zélateur de l’islam, car la majorité ne saurait renoncer au désir de s’assimiler ses adversaires, et, pour rendre tout le monde turc en Turquie, il n’y aurait toujours qu’un moyen, l’islam[1]
- ↑ Un des plus grands, des plus justes reproches que l’on puisse faire à la Porte, depuis la guerre de Crimée, ce sont précisément ses essais de colonisation de l’Europe au profit de l’islam, au moyen des Circassiens et des Tatars établis par le gouvernement au milieu des populations chrétiennes de la Bulgarie, et plus récemment de la Thessalie. Ces tentatives pour renforcer la population musulmane en Europe ont eu pour principal résultat les massacres de la Bulgarie, et l’une des choses à demander au divan devrait être de s’interdire à l’avenir la transplantation de ces tribus fanatiques au milieu des provinces chrétiennes les plus paisibles.