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la réforme judiciaire, sur l’enseignement classique, est aujourd’hui presque uniquement consacrée aux affaires de l’Orient.

Une chose à noter, c’est qu’aux premiers jours cet ardent intérêt pour les Slaves de la Turquie n’a pas éclaté dans toute son impétuosité. Au début de l’insurrection de l’Herzégovine, l’opinion russe paraissait relativement froide. Les intérêts matériels, devenus, là aussi, puissans depuis une vingtaine d’années, et là comme partout ennemis de toute cause de trouble, les intérêts industriels et financiers, privés et nationaux, semblèrent un moment capables de dominer toute autre préoccupation et de comprimer les sympathies politiques ou religieuses. Les comités slaves avaient quelque peine à remuer l’opinion, et les esprits positifs montraient, non sans satisfaction, cette sorte de froideur ou d’apathie comme une preuve des transformations et de la maturité de l’esprit public. La prolongation de l’insurrection, les atermoiemens du cabinet anglais, l’intervention de la Serbie, ne tardèrent point à réveiller l’opinion. Quand on songe à l’émotion produite en Angleterre par les massacres de Bulgarie, l’on comprend sans peine les sentimens qu’ont dû soulever chez les Slaves orthodoxes de Russie ces horreurs minutieusement enregistrées et longuement commentées dans les feuilles russes. Toutes les passions religieuses ou nationales assoupies furent ravivées, et la vieille Russie, la sainte Russie d’autrefois, sembla renaître pour reprendre sa mission historique.

Le mouvement de l’opinion a été si soudain, si universel, si impératif, que, malgré les apparences contraires, la conduite du gouvernement russe, obligé de résister à une telle pression, a été jusqu’ici réellement modérée. Certes l’attitude du cabinet de Pétersbourg, demeurant en relations officielles avec la Porte-Ottomane, et laissant soldats et officiers marcher librement au secours du vassal de la Porte, était peu conforme aux usages du droit des gens ; mais pour l’Europe, pour la Turquie même, mieux valait de la part de la Russie une incorrection diplomatique qu’une déclaration de guerre en Donne forme. Le sentiment populaire, l’impatience nationale, ont par là reçu satisfaction sans entraîner tout le pays ; ces envois d’hommes et d’argent aux Serbes ont été pour l’excitation russe comme la soupape de sûreté sans laquelle une explosion eût été malaisée à prévenir. Il semble du reste que le nombre des volontaires russes ait été exagéré, et en tous cas leurs valeureux efforts n’ont point changé le cours des événemens.

Pour fermer à l’invasion turque le cœur de la Serbie, il a fallu un ultimatum de Livadia. Grâce à lui, nous avons enfin un armistice, et le gouvernement russe va pouvoir prouver la sincérité de son amour de la paix. La question, encore une fois enlevée au sort des armes, a