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LES
REFORMES DE LA TURQUIE
LA POLITIQUE RUSSE ET LE PANSLAVISME.


I

Il y a une manière aisée de raconter l’histoire, manière longtemps à la mode et pratiquée par la plupart de nos anciens historiens, c’est d’attribuer tous les événemens, toutes les révolutions, à l’intervention de tel ou tel personnage, au génie de l’un, à l’incapacité de l’autre, en un mot à l’action individuelle. Si la république romaine a péri, c’est qu’il s’est rencontré un César ; si la vieille monarchie française s’est effondrée, c’est que la royauté est tombée aux mains du débile Louis XVI. En histoire, une semblable explication du passé est aujourd’hui regardée comme enfantine par les élèves mêmes de nos écoles. En politique, c’est-à-dire pour l’histoire inachevée qui se déroule sous nos yeux, cette mesquine conception des faits prévaut encore. Tous les événements contemporains sont rapportés par l’opinion aux calculs des hommes d’état, aux intrigues des cabinets, aux hasards de la guerre, comme si la politique était une partie d’échecs jouée sur une table rase, comme si derrière les révolutions populaires ou la diplomatie, des gouvernemens il n’y avait point en jeu des causes générales et l’inexorable logique des faits. Combien de personnes en France croient avoir expliqué les deux grandes révolutions du XIXe siècle, l’unité de l’Italie et l’unité de l’Allemagne, avec la dextérité de M. de Cavour, le machiavélisme de M. de Bismarck et les illusions de Napoléon III !

Comment s’étonner d’entendre juger de cette sorte l’Orient de l’Europe, les principautés du Danube, la Russie, des pays qui pour le public sont de simples dénominations géographiques