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nous autres Celtes. Nous ne ferons pas de Parthénon, le marbre nous manque ; mais nous savons prendre à poignée le cœur et l’âme ; nous avons des coups de stylet qui n’appartiennent qu’à nous ; nous plongeons les mains dans les entrailles de l’homme, et, comme les sorcières de Macbeth, nous les en retirons pleines des secrets de l’infini. La grande profondeur de notre art est de savoir faire de notre maladie un charme. Cette race a au cœur une éternelle source de folie. Le « royaume de féerie, » le plus beau qui soit en terre, est son vrai domaine. Seule, elle sait remplir les bizarres conditions que la fée Gloriande impose à qui veut y entrer ; le cor qui ne résonne que touché par des lèvres pures, le hanap magique qui n’est plein que pour l’amant fidèle, n’appartiennent qu’à elle.

La religion est la forme sous laquelle les races celtiques dissimulent leur soif d’idéal ; mais l’on se trompe tout à fait quand on croit que la religion est pour elles une chaîne, un assujettissement. Aucune race n’a le sentiment religieux plus indépendant. Ce n’est qu’à partir du XIIe siècle, et par suite de l’appui que les Normands de France donnèrent au siège de Rome, que le christianisme breton fut entraîné bien nettement dans le courant de la catholicité. Il n’eût fallu que quelques circonstances favorables pour que les Bretons de France fussent devenus protestans, comme leurs frères les Gallois d’Angleterre. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que notre Bretagne française fut tout à fait conquise par les habitudes jésuitiques et le genre de piété du reste du monde. Jusque-là, la religion y avait eu un cachet absolument à part. C’était surtout par le culte des saints qu’elle était caractérisée. Entre tant de particularités que la Bretagne possède en propre, l’hagiographie locale est sûrement la plus singulière. Quand on visite à pied le pays, une chose frappe au premier coup d’œil. Les églises paroissiales, où se fait le culte du dimanche, ne diffèrent pas essentiellement de celles des autres pays. Que si l’on parcourt la campagne, au contraire, on rencontra souvent dans une seule paroisse jusqu’à dix et quinze chapelles, petites maisonnettes n’ayant le plus souvent qu’une porte et une fenêtre, et dédiées à un saint dont on n’a jamais entendu parler dans le reste de la chrétienté. Ces saints locaux, que l’on compte par centaines, sont tous du Ve ou du VIe siècle, c’est-à-dire de l’époque de l’émigration ; ce sont des personnages ayant pour la plupart réellement existé, mais que la légende a entourés du plus brillant réseau de fables. Ces fables, d’une naïveté sans pareille, vrai trésor de mythologie celtique et d’imaginations populaires, n’ont jamais été complètement écrites. Les recueils édifians faits par les bénédictins et les jésuites, même le naïf et curieux écrit d’Albert