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sur lui-même. Ce grave conseiller, qui avait si bien mené l’affaire du bill de régence, n’avait pas renoncé pour toujours aux devoirs de ses jeunes années. Le diplomate pouvait à l’occasion redevenir un médecin vigilant et habile. Tandis que le prince s’occupait de la mère, Stockmar s’occupait de l’enfant. Dès les premiers temps du mariage, il avait mis tout son zèle à organiser le service que réclamerait le soin du nouveau-né. La chose, à ce qu’il semble, ne marchait pas toute seule. Dans les petites affaires comme dans les grandes, il faut une règle précise et une discipline exacte. Tout ce monde inférieur qui sait bien son importance est souvent aussi difficile à conduire que le monde des intérêts politiques. Là aussi, pour peu qu’on y regarde de près, il y a des intrigues à déjouer, des amours-propres à ménager, des prétentions à rabattre. On devine tout ce petit tracas à travers les confidences de Stockmar, quand on lit ces mots dans une de ses lettres : « La nursery me donne autant de peine que pourrait le faire le gouvernement d’un royaume. »

Est-il besoin de dire que ces soins ne furent pas infructueux ? La jeune princesse, née à Buckingham-Palace le 21 novembre 1840, était venue au monde assez chétive, et sa santé donna quelque temps de sérieuses inquiétudes ; on sait qu’elle est aujourd’hui l’ornement d’une cour où elle représente avec autant de grâce que d’élévation morale les principes de modération et d’humanité, principes nécessaires partout, et certainement là plus qu’ailleurs. La princesse Victoria d’Angleterre, si Dieu le permet, sera un jour impératrice d’Allemagne.

Les soins que le prince Albert donnait à l’auguste malade pouvaient se concilier avec des devoirs d’un autre ordre. La dernière page du volume des Early years contient à ce sujet une indication qui est de nature à piquer vivement la curiosité du lecteur. Voici les paroles trop brèves du général Grey : « Pendant la maladie de la reine, le prince vit les ministres et traita pour elle toutes les affaires nécessaires. » Rappelons-nous que ce n’est point là une affirmation insignifiante ; si le général Grey tient la plume, c’est la reine Victoria qui parle. Quelles sont donc ces affaires où le prince remplaçait la reine ? Les affaires courantes sans doute, celles qui sont comme le pain quotidien dans le ménage d’une grande nation. Fort bien ; mais qu’aurait dit le parlement si on lui eût demandé une décision autorisant cette pratique ? ou plutôt quel est le ministère qui eût osé la demander ? N’y a-t-il pas des jours où les affaires courantes sont de la gravité la plus haute ? Et cette année 1840 n’a-t-elle pas été précisément une des plus brûlantes années du XIXe siècle ? Voilà donc un de ces cas où les Anglais comptent sur l’usage pour adoucir les aspérités de la loi. Faire sans dire, c’est