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à toute autocratie, mais d’autre part très enclin à penser que l’état idéal est celui qui repose sur les principes de l’Écriture formulés par les confessions calvinistes. Cette divergence de vues n’empêcha pas Guillaume Ier de continuer ses bonnes grâces à son secrétaire. La révolution belge, les tristesses, les angoisses, les agitations dont elle fut la source pour les patriotes néerlandais, ébranlèrent la santé de Groen, qui dut voyager pour se rétablir. A son retour, il fut appelé au poste, créé pour ainsi dire tout exprès pour lui, d’archiviste de la maison royale, et c’est en cette qualité qu’il rendit les plus éminens services à l’historiographie de nos jours. On peut dire sans exagération qu’on lui doit la révélation du rôle, bien plus grand encore qu’on ne le supposait, de l’illustre maison d’Orange aux XVIe et XVIIe siècles. Des historiens tels que Gachard, Prescott, Macaulay, Morley, Quinet, ont puisé à pleines mains dans le trésor de documens et de pièces du plus haut intérêt, qu’il publia sous le titre d’Archives ou Correspondance inédite de la maison d’Orange-Nassau, d’autant plus qu’avec une loyauté scrupuleuse il ne cacha rien et comprit qu’une illustration aussi incontestable ne pouvait sérieusement souffrir des quelques taches disséminées sur une histoire aussi longue, mêlée à tant de luttes épiques. C’est surtout par cette publication importante, qui compte aujourd’hui treize volumes parus, que M. Groen a bien mérité de la science historique.

Sa carrière politique, bien que très honorable, brille d’un éclat plus discuté. Élu député en 1840, lors de la révision de la constitution néerlandaise, il fut réélu en 1849, en 1850 et en 1855. Sa position parlementaire fut celle de leader du parti chrétien-historique ou anti-révolutionnaire, — non pas contre-révolutionnaire, disait-il avec plus de subtilité que de justesse. Il entendait par là qu’il reconnaissait la nécessité de faire droit aux changemens accomplis dans les mœurs et les institutions par la révolution, mais qu’il refusait de pactiser avec ce qui était pour lui le principe même de la révolution, savoir le droit pur et simple de l’homme, indépendamment de toute croyance religieuse. La révolution, disait-il, ne mènera jamais qu’au despotisme ou à l’anarchie, et il est facile de comprendre le parti qu’il sut tirer en faveur de sa thèse de l’établissement du second empire.

Du reste il faut rendre cette justice à Guillaume Groen qu’il fut toujours observateur scrupuleux, quoique inconséquent, de la légalité existante. Toute son activité parlementaire, rehaussée par une éloquence sobre, concise, élégante et acérée, se renferma dans la tâche ingrate de revendiquer à toute occasion les droits de l’orthodoxie nationale contre les usurpations, ou ce qui lui paraissait tel, de l’esprit révolutionnaire. Il eut pour principal antagoniste son ancien condisciple de Leyde, le ministre Thorbecke, qui réussit à faire prédominer dans la constitution et dans la politique intérieure les principes du libéralisme moderne. C’est surtout sur la question de l’instruction primaire que la lutte fut violente