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férence qui va se réunir peut trouver des précédens, des exemples dans tout ce que l’Europe a pu faire depuis vingt ans pour la Syrie, pour le Liban, pour la Crète, pour la Serbie elle-même. C’est une tradition qu’elle n’a qu’à continuer. Quand on parle de l’intégrité et de l’indépendance de la Turquie, on sait bien ce que cela veut dire. On sait bien qu’il ne s’agit ni de protéger des barbaries et les banqueroutes turques, ni de se refuser aux améliorations possibles. Le mot a été dit : maintenir ce qui existe en l’améliorant !

La paix est le grand but qu’on poursuit sans nul doute. C’est l’œuvre de cette conférence qu’on est convenu de réunir, qui a la mission de tout remettre en ordre. Ce qui est certain cependant, c’est qu’on semble travailler à la paix et se préparer à la conférence sans se faire des illusions démesurées, sans se dissimuler les périls de la situation, sans déguiser même les antagonismes toujours prêts à éclater dans cette redoutable affaire. Chacun dit sa pensée, lord Beaconsfield au banquet du lord-maire, l’empereur Alexandre à Moscou. On dirait un dialogue où les préoccupations et les défis percent sous mille protestations d’amitié ! Lord Beaconsfield se donne libre carrière, il n’est pas d’une pruderie diplomatique exagérée. Il ne ménage même pas l’ironie à la dernière sommation russe, à cet ultimatum, — « un bien vilain mot, » — dont il a beaucoup entendu parler, et qui lui a fait tout juste l’effet, dans le cas présent, « d’une citation en justice pour le paiement d’une dette dont la somme entière aurait été déjà déposée au greffe du tribunal. » Au fond M. Disraeli ne veut pas qu’on l’ignore, il saisit l’occasion de relever le drapeau britannique, d’accentuer avec autant d’insistance que de fierté la politique traditionnelle de l’Angleterre : maintien de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de l’empire ottoman ! L’Angleterre a les yeux ouverts et elle veille. Il y a quelques jours, lord Derby écrivait : « J’ai cru utile d’avertir l’ambassadeur de Russie que, si vif que puisse être le sentiment d’indignation populaire en Angleterre contre les cruautés turques, ce sentiment ne tarderait pas à être remplacé par un autre tout différent, si le peuple anglais venait à croire que Constantinople est menacé… » M. Disraeli, de son côté, poursuit la démonstration. Assurément il est plein d’espoir dans les bonnes dispositions de l’Europe, il espère la paix. « La paix est plus particulièrement une politique anglaise. » L’Angleterre n’est point une puissance agressive, elle ne convoite pas des villes et des provinces. Elle ne demande pas mieux que de jouir de sa sécurité au sein de son florissant empire ; « mais enfin, — il n’hésite pas à le déclarer, il faut qu’on le sache, — bien que la politique de l’Angleterre soit la paix, il n’est pas de pays aussi bien préparé pour la guerre que le nôtre… Si elle commence la lutte pour une cause juste ses ressources seront inépuisables ; l’Angleterre n’est pas un pays qui, en entrant en campagne, a besoin de se demander s’il sera en état de faire une seconde ou une troi-