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D’ailleurs le chevalier de Perrin avait fait à son tour et de son chef encore bien mieux, c’est-à-dire bien pis.

On le lui a tant reproché, à ce pauvre chevalier, si aigrement, qu’en vérité nous serions tenté de lui chercher des excuses. Il y en a peut-être une qui dispense de toutes les autres : il était de son temps. De nos jours certainement, un éditeur croirait démériter de ses lecteurs et trahir la confiance qu’il leur demande, s’il prenait avec son texte une telle liberté que d’y déplacer la moindre virgule ou d’en redresser la plus audacieuse irrégularité. Jusqu’aux fautes d’orthographe, qui nous sont aujourd’hui sacrées! Au contraire, il y a quelque cent ans, atténuer les hardiesses, sauver les incorrections, réparer les négligences, je ne sais si l’on ne pourrait dire que c’était une partie du devoir de l’éditeur. Si le chevalier de Perrin corrigeait à sa façon Mme de Sévigné, La Beaumelle n’avait-il pas encore bien autrement traité Mme de Maintenon? L’abbé de Voisenon ne réduisait-il pas, « en homme de goût, » sur l’invitation expresse de M. de Choiseul, les Mémoires de Saint-Simon? Condorcet s’inquiétait-il, en rééditant les Pensées de Pascal, d’endosser les corrections que Nicole, c’est-à-dire Port-Royal s’était permis d’y introduire? Et sur la fin du siècle, le fougueux abbé Maury ne s’indignait-il pas violemment contre dom Déforis, qui publiait les sermons de Bossuet « sans triage et sans retranchement, » et prétendait ramasser « jusqu’au linge sale » du grand évêque?

Comme l’édition de La Beaumelle, — moins longtemps, mais trop longtemps encore, — l’édition du chevalier de Perrin passa donc pour le texte authentique de Mme de Sévigné. Par une remarquable contradiction, les mêmes raisons qui la défendaient alors nous la rendraient aujourd’hui suspecte. Le nom de Mme de Simiane était une garantie d’authenticité: c’est précisément de Mme de Simiane que nous nous défierions aujourd’hui, de son respect obligé de certaines bienséances, de ses scrupules de piété filiale et d’une sorte de pudeur qui craint de voir les secrets de famille violés même par l’éclat de la gloire littéraire. Et cependant il eût suffi de comparer l’édition de 1754 à celle de 1734 pour être mis sur la voie des suppressions et des altérations. On attendit plus d’un demi-siècle, et M. de Monmerqué fut le premier qui s’avisa de cette comparaison si simple. Il découvrit que plusieurs passages avaient disparu dans la deuxième édition, 1754, qui figuraient dans la première, ceux-là tout particulièrement qui, publiés comme par mégarde, portaient une atteinte sensible au caractère de Mme de Grignan[1]. Il prit donc pour base

  1. Les précautions de Mme de Simiane étaient d’ailleurs bien superflues, et dès le milieu du XVIIIe siècle on savait le jugement qu’il convenait de porter de Mme de Grignan. «Vous ne m’avez point donné de nouvelles du catarrhe, ma chère enfant, j’en suis inquiète; je vous en demande, et je mérite d’en avoir, parce que je vous aime autant que Mme de Sévigné aimait Mme de Grignan, et vous avez sur celle-ci l’avantage d’être plus aimable, comme j’ai sur l’autre l’avantage d’avoir bien mieux placé mon sentiment. » Ce sont les expressions d’une lettre de Mme de Choiseul à Mme Du Deffand (1767) en lui envoyant une lettre autographe de Mme de Sévigné, les Grands écrivains de la France. — Mme de Sévigné, t. XI, p. 12.