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Nul n’ignore que du vivant même de Mme de Sévigné quelques-unes de ses lettres couraient : les lettres du cheval et de la prairie sont demeurées célèbres. Avant qu’elle se fût séparée de sa fille, on savait déjà que la princesse Clarinte, — c’est le nom qui la désigne dans la Clélie de Mlle de Scudéry, — « écrivait comme elle parlait, c’est-à-dire le plus galamment et le plus agréablement qu’il fût possible. » La Bruyère, trente ans plus tard, au chapitre des Ouvrages de l’esprit, a prononcé sur elle et sur son style, dont on n’avait rien imprimé, le jugement de la postérité. Les premières lettres rendues publiques ne le furent qu’en 1697, par la marquise de Coligny, la fille aînée de Bussy, dans un recueil des lettres de son père. Elle accomplissait le vœu, pour ne pas dire qu’elle exécutait l’ordre du grand seigneur si jaloux de sa gloire d’homme de lettres, et qui poussa la vanité d’écrivain jusqu’à l’oubli des devoirs du gentilhomme quand il refusa d’effacer de son Histoire amoureuse des Gaules le spirituel et calomnieux portrait qu’il y avait tracé de Mme de Sévigné. Le goût de l’époque n’y fut pas trompé : il alla droit aux lettres de Mme de Sévigné. Elles servirent, elles servent encore de passeport à celles de Bussy. Deux autres recueils parurent en 1725 et 1726, sans nom de lieu ni d’imprimeur : ils contenaient une soixantaine de lettres à Mme de Grignan. La Beaumelle, grand compilateur et faussaire illustre, attribua l’origine de la publication à quelque indélicatesse et quelque abus de confiance de Voltaire[1]; mais, comme Voltaire avait accusé La Beaumelle « d’avoir volé sur le coin de la cheminée de M. Racine le manuscrit des lettres de Mme de Maintenon, » le témoignage est peut-être suspect. Quoi qu’il en soit, cette publication, trois ou quatre fois et toujours furtivement reproduite, blessa vivement Mme de Simiane. Elle mit en mouvement, pour l’arrêter, et d’ailleurs sans y réussir, de puissans personnages. Ce ne fut enfin qu’après de longues hésitations, avec une répugnance mal dissimulée, quand elle vit bien, suivant son expression, qu’on refusait à son aïeule « le droit d’avoir eu de l’esprit impunément, » qu’elle consentit à fournir au chevalier de Perrin, ami de la famille, les matériaux qui servirent à la première édition authentique, l’édition de 1734-1737. La dernière main y fut mise en 1754 : c’est la seconde édition de Perrin. Il est pénible d’apprendre que ce grand admirateur de Mme de Sévigné mourut d’une indigestion.

Je pense qu’on ne saurait s’étonner que Mme de Simiane ait exigé du chevalier de Perrin, et que celui-ci, naturellement, ait consenti de nombreuses suppressions. Ces correspondances, comme ces Mémoires qui trahissent les petites raisons des choses et qui sont en quelque

  1. Nous empruntons la plupart de ces renseignemens tant aux notices bibliographiques, avertissemens et reproductions de préfaces qu’on trouve au tome XI de la grande édition, p. 422, 523, qu’à la longue et curieuse introduction de M. Capmas (Lettres inédites de Mme de Sévigné, t. Ier, p. 3, 240).