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encore? C’est tout un appareil formidable, et c’est une vie tout entière qu’il faut avoir le loisir de consacrer à un seul auteur. Au moins, si ce labeur obtenait sûrement sa récompense! Mais en vérité, le plus souvent, on n’a pas sitôt donné l’Édition définitive, qu’elle retarde, et qu’une découverte imprévue remettant les choses en l’état, c’est déjà le temps de recommencer le travail sur nouveaux frais. Les exemples ne manqueraient pas de semblables mésaventures : en voici le plus récent.

S’il était une édition qu’on eût quelque lieu de croire définitive, c’était assurément la belle édition des Lettres de Mme de Sévigné publiée naguère sous le nom de M. de Monmerqué dans la collection des Grands Écrivains de la France. Depuis près de cinquante ans, M. de Monmerqué n’avait-il pas fait son domaine privé de la merveilleuse correspondance? Et d’autre part, s’il était homme de France qui pût appliquer à la restitution d’un texte corrompu, falsifié de parti-pris et mutilé de propos délibéré, toute la rigueur des méthodes nouvelles, n’était-ce pas M. Régnier? Aussi l’édition n’avait-elle pas encore vu le jour qu’on l’annonçait déjà comme une révolution, et le troisième volume des dix n’était pas encore sorti des presses qu’on se félicitait « d’avoir enfin le texte de Mme de Sévigné aussi sincère et aussi authentique qu’il fût alors possible de l’obtenir. » Alors ! heureuse restriction d’un critique tourmenté, s’il en fut, de la peur d’être dupe, et prudente réserve que nous ne saurions après tout mieux faire que d’imiter, si l’on songe que de toute cette vaste correspondance qu’entretint Mme de Sévigné nous ne possédons qu’une partie, et de cette partie même à peine peut-être cent cinquante pièces autographes. À ce maigre total d’autographes, disons tout de suite que le nouveau manuscrit n’ajoutera malheureusement rien ; c’est une copie. Mais il nous livre vingt-quatre lettres inédites, quelques-unes très longues et très intéressantes, dix-neuf lettres inédites en partie seulement, — presque toutes, il est vrai, « pour la majeure partie et quelques-unes pour la presque totalité. » Si nous ajoutons des fragmens de cent vingt-sept autres lettres, « fragmens dont quelques-uns ont l’importance et l’étendue de lettres ordinaires, » on ne méconnaîtra pas l’inespéré de la trouvaille, et tous les chercheurs comprendront aisément la joie de celui qui l’a faite. M. Charles Capmas, professeur à la faculté de droit de Dijon. On la comprendra mieux encore, si nous rappelons brièvement l’histoire et la bibliographie du texte de Mme de Sévigné.

Aussi bien cette histoire n’est-elle pas seulement la sienne, et, plus ou moins, ces grands classiques du XVIIe siècle que nous nous représentons volontiers comme transmis intacts jusqu’à nous et préservés par l’admiration de l’atteinte du temps, ont-ils éprouvé les mêmes vicissitudes et leurs chefs-d’œuvre les mêmes injures.