Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parmi ces levures naturelles, une des plus curieuses est le saccharomyces pastorianus, déjà cité, qui offre un cas de polymorphisme bien caractérisé. Composé ordinairement de cellules ovales ou sphériques, lorsqu’on le recueille dans les dépôts d’un moût qu’il a fait fermenter, il se transforme, dans certaines conditions faciles à réaliser, en des chaînes de tubes rameux qui se couvrent çà et là de cellules et d’articles, et il semble qu’alors seulement on ait sous les yeux la plante complète. Le saccharomyces pastorianus forme ainsi comme une transition entre le genre levure et certains genres de moisissures vulgaires, notamment le dematium, qui est très abondant sur le bois de la vigne à la fin de l’été, au moment des vendanges. Il est fort possible qu’à cette époque de l’année les dematium émettent des cellules de levure; ce serait la confirmation du soupçon qui est venu à plus d’un observateur, c’est que la levure n’est peut-être qu’un organe détaché d’un végétal plus complexe.

Le ferment ordinaire du vin (saccharomyces ellipsoïdeus) est une levure qui se développe naturellement à la surface des grains du raisin et s’introduit dans le jus sucré quand on écrase les grains, La fermentation du vin est donc spontanée, et il en est de même de celle du cidre, du rhum, de l’hydromel, etc.; l’homme ne la dirige pas, ne se préoccupe nullement de l’agent qui la provoque. Au contraire, le moût de bière n’est presque jamais abandonné à la fermentation spontanée : on le met en levain avec une levure recueillie dans une opération précédente ou qu’on a été chercher dans une brasserie en activité, qui elle-même la tenait d’une brasserie plus ancienne, et ainsi de suite. La levure de la bière est donc un produit industriel qui résulte d’une longue série de cultures répétées. On distingue d’ailleurs la levure haute, qui exige une température d’au moins 16 degrés, et la levure basse, qui ne fonctionne bien qu’à des températures inférieures à 10° ; on n’obtient directement ni l’une ni l’autre par la fermentation spontanée du moût de bière, qui donnerait des levures semblables à celles du vin. Voici les réflexions qu’elles inspirent à M. Pasteur : « D’où proviennent donc les levures haute et basse de l’industrie? Quel a été leur premier germe? Je ne saurais le dire; mais je suis très porté à croire que nous avons ici un exemple nouveau de ces modifications de plantes ou de races d’animaux, devenues héréditaires par une domestication prolongée. On ne connaît pas le blé à l’état sauvage; on ne sait quelle a été sa première graine. On ne connaît pas non plus le ver à soie à l’état sauvage ; on ignore la race qui en a fourni le premier œuf. »

En dehors des deux levures de bière à fermentation haute et à fermentation basse, qui sont, à vrai dire, des produits artificiels,