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insensé, dans l’état actuel de l’Europe, de vouloir aller à Rome malgré la France... Nous avons contracté une grande dette de reconnaissance envers la France;... mais nous avons un motif plus grave de nous mettre d’accord avec elle. Quand nous avons appelé en 1859 la France à notre aide, l’empereur ne nous dissimula point les engagemens par lesquels il se tenait pour lié envers la cour de Rome. Nous avons accepté son aide sans protester contre les obligations qu’il nous déclarait avoir assumées. Après avoir tiré de cette alliance tant d’avantages, nous ne pouvons pas protester contre des engagemens que jusqu’à un certain point nous avons admis... » Il n’y avait qu’un moyen de dégager la France et de désintéresser avec elle le monde catholique tout entier, c’était de donner à l’église ce que ne pouvait plus lui donner un pouvoir temporel désormais perdu, péniblement étayé depuis vingt ans par un appui étranger, impuissant à se soutenir par lui-même ou à se régénérer par des réformes impossibles; c’était d’assurer la dignité, l’indépendance du souverain pontife et de l’église par la séparation des deux pouvoirs, par une large application du principe de liberté aux rapports de la société civile et de la société religieuse. « Il est clair, poursuivait-il, que, si cette séparation venait à s’opérer d’une façon nette, irrévocable, si l’indépendance de l’église s’établissait de la sorte, l’indépendance du pape se fonderait sur die bien meilleures bases qu’aujourd’hui. Son autorité deviendra aussi plus efficace, n’étant plus liée par tous ces concordats, par tous ces pactes qui ont été et qui seront indispensables tant que le pape sera souverain temporel... L’autorité du pape, loin de diminuer, grandira de beaucoup dans la sphère spirituelle qui lui appartient... » Si ce n’était qu’un grand espoir, si on ne devait pas réussir du premier coup, il ne fallait pas se décourager, il ne fallait pas cesser de répéter : « qu’un accord avec le pape précède ou non notre entrée dans la ville éternelle, l’Italie n’aura pas plutôt déclaré la déchéance du pouvoir temporel qu’elle séparera l’église de l’état et assurera sur les bases les plus étendues la liberté de l’église... » Ainsi il s’avançait dans cette carrière qu’il ouvrait et agrandissait d’une main hardie, disant tout avec un art infini des nuances, résumant toute sa politique dans un ordre du jour proposé par M. Buoncompagni, corrigé par lui-même, qui avait ce triple objet : satisfaire les Italiens par la proclamation de Rome capitale, sauvegarder les relations avec la France, rassurer et désintéresser les catholiques par les garanties les plus libérales en faveur de l’indépendance du saint-siège et de l’église.

N’était-ce qu’une illusion ou une fascination d’esprit, ou un artifice de discussion ? Cavour croyait sincèrement ce qu’il disait, et il croyait agir dans l’intérêt de l’église elle-même autant que dans