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sont la liberté et la justice. Cela étant, tôt ou tard les peuples de l’Italie méridionale se joindront politiquement à leurs frères du nord, et voudront être gouvernés par le même souverain... » Cavour n’aurait pas mieux dit. Au fond, l’Angleterre n’avait qu’une préoccupation bien réelle, une double inquiétude. Elle craignait que le Piémont ne se laissât emporter à des « actes d’agression contre l’Autriche, » — elle craignait bien plus encore que Cavour, dans tous les embarras qu’il affrontait, ne fût tenté d’acheter le concours de la France par des cessions nouvelles, par le sacrifice de l’île de Sardaigne et même de Gênes. Lorsqu’on lui présentait une note de six lignes demandant des garanties sur ces deux points, Cavour se hâtait naturellement de rassurer lord John Russell. Des deux mains, il signait l’engagement de ne point attaquer l’Autriche, et « de ne céder à la France aucun territoire au-delà et en addition de ceux qui avaient été cédés par le traité de Turin du 24 mars. » Voyant très finement ce qui tenait le plus au cœur de lord John Russell, l’habile Piémontais avait même le soin de mettre en première ligne l’article de la cession, que la note britannique n’avait mis qu’au second rang. Une fois rassurée, l’Angleterre se sentait plus libre de tout permettre, de tout encourager ou de ne rien empêcher.

Que ferait ou que permettrait à son tour la France? Cavour n’ignorait certes pas que là était toujours la grave et délicate question pour lui, que dans cette phase nouvelle tout dépendait encore de la France bien plus que de l’Angleterre. Il comptait sur la « complicité » dont il avait parlé le jour où il avait signé cette cession de la Savoie et de Nice, qui ne devenait un fait définitivement accompli qu’au moment où Garibaldi était déjà à Palerme. Il comptait aussi sur la force des choses, sur les inclinations secrètes et les intérêts de l’empereur, sur les mille liens qui enlaçaient Napoléon III, qui enchaînaient les destinées de l’empire au succès ou aux revers de la cause italienne. Il démêlait enfin avec une sagacité profonde que la politique napoléonienne ne pouvait pousser bien loin la protection à l’égard des légitimités en déclin. Il ne se trompait guère dans ses calculs. La France avait été sans doute une des premières puissances à protester contre le départ de Garibaldi, contre l’enrôlement des volontaires expédiés chaque jour en Sicile. Évidemment Napoléon III ne voyait pas d’un bon œil cette entreprise révolutionnaire, il ne désirait pas la disparition du royaume méridional, l’annexion à outrance. Ce qu’il en pensait néanmoins restait assez platonique ou assez obscur. A ceux qui lui parlaient de « l’Italie du sud, » l’empereur répondait mélancoliquement : « Que voulez-vous faire avec un gouvernement comme celui de Naples, qui s’obstine à n’écouter aucun conseil. » Napoléon III s’absentait pour le moment!