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se rapetissèrent et s’épaissirent, et les garçons versèrent un tiers de mousse. Ces garçons commencèrent alors à prélever sur le public un impôt nouveau : le pourboire, autrefois facultatif, devint obligatoire, et tel qui remerciait jadis pour un demi-groschen, reçut avec une indifférence superbe un groschen tout entier. Au beau temps des débuts de la crise, l’ouvrier se consolait de la cherté de la bière en buvant du Champagne ; mais que pouvait faire le petit employé ou l’invalide pensionné ? Rester chez lui et maudire la bourse.

Les appauvris ont maudit les enrichis : voilà certes une des plus tristes conséquences de la crise. Dans un remarquable discours, tenu au commencement de cette année à Dresde, M. le docteur Ludwig Bamberger, député au parlement d’Allemagne, a tracé un assez sombre tableau de l’état moral de son pays. Il a parlé des complicités dangereuses que rencontrent partout les doctrines socialistes, de la coalition nouée entre ces révolutionnaires et les catholiques en temps d’élection, de l’appui que prête aux internationaux ce nouveau parti, appelé d’un singulier nom le parti agraire, et dont les membres, recrutés dans ce qui reste de la caste féodale, prêchent la haine de la richesse acquise par l’industrie, sous prétexte de remettre en honneur l’agriculture. Il a montré partout, dans les plus hautes charges de l’état, autour du ministre de l’intérieur, du ministre de la justice, des amis inconscients de ces ennemis de la richesse. Il a dit spirituellement que tel discours de M. de Bismarck lui-même aurait pu, en temps de réaction, donner au ministère public l’occasion d’une poursuite pour excitation à la haine de ceux qui possèdent contre ceux qui ne possèdent pas. Mais il s’est surtout élevé, avec autant d’éloquence que de raison, contre cette scandaleuse manie de la calomnie et de la délation, qui s’est répandue sur l’Allemagne, au cours de ces dernières années, et qui a choisi pour victime la bourgeoisie laborieuse et enrichie. « Tant qu’on ne flétrira pas, dit-il, comme il convient et de tous les côtés à la fois ce banditisme, nous n’arracherons pas des entrailles de la nation ce mal profond et qui nous menace d’un grand danger, car on se fatiguera d’apporter ses efforts à la vie active et pratique, si l’on ne peut le faire sans être attaqué dans son honneur. Et nous n’avons point en Allemagne trop de forces pratiques, trop d’habileté pratique, trop d’hommes entendus et expérimentés pour conduire nos affaires I »

On a écrit en effet de fort mauvaises choses sur la crise. Pour un livre comme celui de M. OEchselhauser, livre sincère, où le mal est bien étudié, où le patriotisme qu’on sent à chaque page ne nuit pas à la vérité, où l’on ne trouverait à redire peut-être qu’à une