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ouvriers. Il n’y a point de doute que l’Allemagne n’ait été très appauvrie.

De rudes atteintes ont été portées aux vertus que les Allemands ont coutume de revendiquer comme leur attribut exclusif. Le sincère Allemand a menti énormément. C’est en 1871 que les journaux de Berlin et autres villes commencèrent à donner ces supplémens longs et denses, tout pleins d’annonces de bourse et de prospectus, écrits en grosses lettres avec des blancs, pour mieux attirer les regards. Les grandes feuilles y gagnaient, par jour, de 2,000 à 5,000 thaler ; les petites se nourrissaient des reliefs du festin. Celles-ci inséraient, même sans en être priées, et elles envoyaient la facture, qu’on acquittait sans sourciller, au temps où l’on roulait sur l’or : ce fut même le signe que des temps moins heureux approchaient quand on lut au bas des prospectus. ces mots : « La reproduction ne sera point payée. » Le prospectus avait tous les tons ; il était au besoin poétique. « C’est dans un des territoires bénis de la patrie allemande qu’est situé le cercle oriental du grand-duché de Saxe-Altenbourg. Tout le monde reconnaît l’extrême fertilité de son sol ; mais ce sol renferme et cache d’incalculables richesses souterraines, une mine de charbon d’une rare puissance ! Au milieu de ce cercle est situé le domaine chevaleresque de Zochau, le roi de tous les domaines à la ronde, etc. » Ainsi commençait un prospectus qui annonçait une très mauvaise affaire. Naturellement on promettait des intérêts fabuleux : parler de 10 pour 100 était donner l’exemple d’une réserve qui ne fut guère imitée. Au reste, le style était très soigné ; on y trouvait la trace de consultations d’hommes de loi : c’était un art infini de tout promettre, sans pourtant s’engager à quoi que ce fût.

Le public dévorait ces annonces, qui l’induisaient en grande tentation ; aux petites gens qui ne lisent pas de journaux, la tentation était apportée par des agens des entrepreneurs financiers, par ces « commis-voyageurs en articles de bourse » qui parcouraient la ville et la campagne, et de la cave au grenier offraient leurs actions. Point de si petit village où l’on ne dissertât sur tel ou tel papier, où quelque paysan n’essayât la fortune. On était dans toute la fraîcheur de la crédulité. Si l’arrivée de nos milliards a troublé jusqu’aux plus fortes têtes financières, que d’illusions ont dû naître dans l’esprit d’un paysan ! D’ailleurs au bas des papiers qu’on leur tendait, ces gens simples lisaient des noms illustres. La haute noblesse, la haute administration, avaient leurs représentans dans les plus détestables entreprises. L’Allemand est, par nature, âpre au gain. Cette âpreté s’était accrue au retour de la guerre de France. J’ai vu, pendant l’occupation allemande, des officiers supérieurs s’étonner