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bien des raisons l’administration de la marine ne voudrait pas prendre l’initiative de mesures destinées à modifier beaucoup de ses habitudes. Son chef seul, le ministre de la marine, pourrait puiser dans le sentiment de sa responsabilité l’autorité nécessaire pour entreprendre la campagne contre tout ce qui, dans la marine, n’est pas la marine. Mais ici nous mettons le doigt sur une autre de nos plaies. A peine le ministre a-t-il eu le temps, de concert avec les chefs de service, d’étudier une question, qu’il est remplacé, et Dieu sait pour quel motif! Pendant son court passage aux affaires, il lui est matériellement impossible d’entreprendre quoi que ce soit demandant de la réflexion, de la suite et une volonté soutenue. La certitude de rester peu de temps ministre, quelle que soit son aptitude, le décharge d’ailleurs de toute responsabilité. Il se borne alors à administrer au jour le jour, suivant les précédens, suivant les traditions de ses bureaux ; il y met tout son dévoûment, tout son patriotisme : c’est beaucoup, là où l’organisation est bonne; mais là où un mal existe, il s’invétère.

Devant cette impuissance administrative, d’où pourrait donc venir l’initiative de réformes nécessaires, mais localement impopulaires, que même un César constamment occupé à additionner les votes plébiscitaires n’oserait pas aborder? Des assemblées, et des assemblées seules. Nous en avons en ce moment qui sont dans cet âge heureux où l’inquiétude de la réélection ne se fait pas encore sentir et où le courage collectif est facile. Si elles voulaient, si les patriotes de toute opinion qu’elles comptent dans leurs rangs et qui, tant de fois déjà, ont su oublier popularité et passion de parti devant l’intérêt national, voulaient, le principe de réformes nécessaires serait posé, et les commissions du budget ou une commission d’enquête prépareraient les voies. Ce serait le commencement d’une œuvre féconde à laquelle le sort futur de notre marine est peut-être attaché, mais dont les effets ne se feraient sentir que graduellement. Nous insistons sur ce point, parce qu’il ne faudrait pas que la pour- suite d’un but à lointaine échéance détournât notre attention des remèdes à apporter à une situation présente pleine de périls.

Nous avons démontré l’impérieuse nécessité de relever immédiatement le chiffre de nos armemens, si nous ne voulions pas laisser s’abaisser la valeur de notre corps d’officiers. La nécessité de concentrer et d’accélérer dès aujourd’hui les travaux du matériel naval n’est pas moins impérieuse. Pensons que les travaux neufs, soit en coques de navires, machines, artillerie, ont été presque entièrement suspendus pendant quatre ans. Notre vieux matériel s’usait, les marines étrangères s’augmentaient chaque jour de puissans navires, d’armes nouvelles, et nous ne faisions ni bâtimens, ni machines,