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L’EXPÉRIENCE NOUVELLE
DU PAPIER-MONNAIE

AVANTAGES ET INCONVÉNIENS DE LA CIRCULATION FIDUCIAIRE.

Il y a cent ans environ, Adam Smith disait qu’on pourrait tout aussi bien aller en guerre avec des canons de papier qu’avec du papier-monnaie. S’il avait vécu de notre temps, il n’aurait certainement pas tenu le même langage. Déjà, à la fin du siècle dernier, l’Angleterre avait montré qu’on peut parfaitement faire la guerre avec du papier-monnaie; elle en a eu en circulation pendant toute sa lutte contre l’empire et même au-delà, de 1797 à 1819, et elle s’en est servie pour se procurer des ressources extraordinaires dont elle avait besoin; mais c’est à notre époque surtout que l’utilité du papier-monnaie en temps de guerre a été le mieux démontrée. Depuis vingt-cinq ans, la plupart des nations y ont eu recours. La Russie en a émis en 1854 et 1855 pour soutenir la guerre de Crimée; l’Autriche a créé celui qu’elle a pour se défendre d’abord contre la France et l’Italie en 1859, puis contre l’Allemagne en 1866. Celui qui existe en Italie date aussi de 1866 et de la même guerre. Les États-Unis ont émis le leur, et Dieu sait dans quelle proportion, lors de la guerre de sécession. Enfin il n’est pas jusqu’à la France, si riche, qui n’ait été obligée d’y recourir lors de sa lutte avec l’Allemagne en 1870. La Turquie combat en ce moment contre les Serbes et le Monténégro avec du papier-monnaie.

On peut donc dire que la déclaration d’Adam Smith est en contradiction absolue avec les faits que nous avons eus sous les yeux. Le papier-monnaie est devenu au contraire l’auxiliaire indispensable de la guerre. Il y a deux raisons pour cela : d’abord, dans ces momens-là, les espèces métalliques se cachent ou fuient à l’étranger; il faut bien les remplacer et pourvoir aux besoins de la circulation.