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— Et tu n’as pas questionné les gens du bureau de la diligence?

— Si fait. J’ai demandé comment s’appelait cette voyageuse. On m’a d’abord toisé des pieds à la tête, puis on m’a murmuré un nom inconnu. Du reste ces gens ne savaient rien, sinon que la jeune dame était en visite chez des parens, du côté de Beaulieu. Un moment, j’ai été tenté de suivre la voiture à la course, mais c’eût été une folie, et d’ailleurs la route était trop mauvaise.

— Console-toi, nous fouillerons la forêt de Beaulieu, et peut-être y rencontreras-tu ta Franceline, errant au bord d’une clairière, comme la Rosalinde de Shakspeare dans la forêt des Ardennes...

Après avoir payé notre écot, nous avons repris le chemin de La Chalade. Tandis que nous escaladions, avec la pluie dans le dos, les gradins de la coulée qui mène à la Haute-Chevauchée, j’ai mis le Primitif et son frère au courant des préoccupations de Tristan, et je leur ai conté l’histoire de la chanson du Jardinier.

— La chanson du Jardinier, a dit Everard, attendez donc, ne commence-t-elle pas par ces vers?

Un jardinier de bonne mine
Était épris d’une beauté ;
Pour une fois qu’il a manqué
A son devoir,
Il a laissé sa belle amie
Au désespoir.

— Oui, s’est écrié notre ami haletant, c’est bien cela... Après?

— Je n’ai jamais su que ce couplet. La vieille servante, qui me le chantait dans mon enfance, disait aussi une autre chanson qui m’est restée dans la mémoire, à cause de son tour original. — Et de sa voix éclatante il a entonné les couplets suivans :

L’avant-veille de mes noces,
Ah! grand Dieu, que la nuit dura!
Je croyais qu’il était jour.
Aussitôt je me leva.

Je mis la tête à la fenêtre;
C’était la lune qui était là.
Je croyais qu’il était jour,
Les onze heures n’y étaient pas.

— Belle lune, ô belle lune,
Que n’avances-tu d’un pas?
Si j’avais mon arbalète,
Je te jetterais à bas.

Il y a en effet dans ces vers toute l’impatience ingénue et passionnée d’un amoureux de vingt ans; mais écrire ces chansons sans