Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a débouché sur une large route forestière. Herbeuse et coupée d’ornières profondes, elle s’enfonçait droit dans la forêt en suivant le sommet du plateau. Nous la voyions s’allonger à perte de vue, se rétrécissant peu à peu, et finissant par s’effacer dans une buée verdâtre.

— C’est la Haute-Chevauchée, nous a dit Tristan.

— En effet, la voilà marquée sur la carte, mais d’où lui vient ce nom plein de couleur?

— Tous les trois ans, les officiers de l’abbaye de Beaulieu parcouraient jadis cette route pour procéder à la visite des chemins, dont l’entretien était à la charge des habitans de la forêt, et cette tournée seigneuriale s’appelait la haute chevauchée. En suivant cette avenue dans la direction du nord, nous atteindrons un carrefour qui se nomme la Pierre-Croisée, et dont l’un des embranchemens nous mène à Varennes.

Nous nous sommes remis en marche; mais le soleil, qui pendant un moment avait fait mine de nous sourire, nous a tout à coup faussé compagnie, et quand nous avons atteint la Pierre-Croisée, une pluie fine s’est mise à tomber. A partir de cet endroit, le chemin est devenu une simple coulée ou plutôt un raide escalier, resserré entre deux talus de grès, où des genêts et des bouleaux formaient un frissonnant berceau. La descente était pénible, mais en revanche cet escalier tournant en plein bois était d’une sauvagerie charmante. De temps en temps, des échappées nous laissaient voir la vallée de l’Aire noyée de brumes transparentes, et un horizon de côtes bleuâtres, à l’extrémité desquelles le bourg de Montfaucon se dressait comme une forteresse sur sa colline en pain de sucre.

Enfin, à travers les hachures de la pluie, nous avons aperçu Varennes, et nous y avons pénétré en longeant une place mélancolique et silencieuse, plantée de tilleuls et bordée de vieux logis aux volets hermétiquement clos. Comme nous passions devant une église dont le pignon démantelé borde la grand’rue, Tristan a ralenti le pas. — Tenez, a-t-il dit, il y avait ici autrefois un passage voûté, et c’est sous cette voûte que, dans la nuit du 21 au 22 juin 1791, Louis XVI a été arrêté avec sa famille. Voyez-vous, en face de cette officine d’apothicaire, une maison basse dont la façade a été rebâtie en pierres neuves? C’était le logis de l’épicier Sauce, chez lequel la famille royale passa le reste de la nuit, tandis que dans les villages environnans le tocsin sonnait à toute volée et que les dragons de M. de Damas refusaient de monter à cheval pour sauver le roi.

Ce bout de rue où est venue sombrer la royauté a encore aujourd’hui une physionomie de coupe-gorge. Entre deux rangées de