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raison, mais dont les images naïves agissent d’une façon puissante sur des cerveaux d’enfans :

Sainte Catherine
Couronnée d’épines,
Aux pieds de Jésus ;
Jésus la regardant
Lui disait : Sainte Catherine,
Sainte Catherine!

J’étais là-haut dans un beau petit bois,
J’ai trouvé une serpe qui m’a coupé les doigts;
Je me suis mise à trembler
En voyant mon sang couler,

A l’arbre d’or
Mon cœur est tout en or,
Et à ma tête est un clair diamant,
C’est mon amant qui m’en a fait présent...

La chanson tout entière n’avait pas le sens commun, et pourtant « ce beau petit bois, » les doigts où le sang coule, « l’arbre d’or » et « le clair diamant, » ces mots sonores et colorés sortant de ces pures lèvres enchantaient ma jeune imagination. A partir de ce soir-là, je devins amoureux de Franceline.

Ces amours de quinze ans ont le charme des primevères d’avril ; elles en ont la grâce frêle, le velouté, la couleur d’un blond doré, et aussi le parfum, ce premier parfum qui annonce le printemps et qu’on n’oublie plus. — Franceline rentra dans son couvent, mais je n’en restai pas moins féru d’amour, et sous les noires solives de la salle d’étude d’un collège, je vécus doucement avec ce jardin vert enfermé dans mon cœur. Je ne la revis que plus tard, quand je revins au pays après mon baccalauréat. Elle avait dix-sept ans et moi vingt. La fleur avait tenu toutes les promesses du bouton, et elle était vraiment jolie. Nous nous voyions souvent le soir, chez une voisine. Franceline avait une voix claire et bien timbrée; elle savait toute sorte de chansons de paysans qu’elle chantait avec beaucoup de charme. Une surtout m’est restée, ou du moins l’air m’est resté, car je n’en sais plus qu’un lambeau de couplet. Il s’agit d’un jardinier amoureux qui va voir sa bien-aimée à la nuit close :

Hé! dormez-vous, sommeillez-vous,
Mon cœur joyeux?
A votre porte est arrivé
Votre amoureux.
— Non, je ne dors ni ne sommeille.
Toute la nuit je pense à vous...

Voilà tout ce que ma mauvaise mémoire a retenu, mais je me