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n’a pas besoin d’abroger la propriété collective du mir. Il n’y a point aujourd’hui en Russie à faire un choix entre deux régimes opposés, tous deux séculaires et également conformes aux habitudes nationales. Rien n’oblige à sacrifier l’un à l’autre. Chacun des deux modes d’occupation du sol a ses avantages sociaux, moraux, économiques. L’un encourage mieux l’esprit de solidarité et d’association, l’autre stimule plus l’esprit d’initiative et fortifie mieux la personnalité. Grâce à l’étendue du sol russe, les deux formes rivales peuvent encore longtemps coexister, soit pour se redresser et se compléter mutuellement, soit pour triompher un jour définitivement l’une de l’autre, après avoir chacune fait leurs preuves.


VII.

La compétition entre la propriété personnelle et la propriété collective se compliquera en Russie de la compétition habituelle entre la grande et la petite propriété, la grande et la petite culture. L’on n’a pas seulement à se demander quel est le mode d’appropriation du sol, mais aussi quel est le mode d’exploitation qui doit finalement l’emporter. Les habitudes et les lois de succession ne sont pas seules à régler l’étendue des terres possédées ou exploitées par un seul individu ; la structure du sol, les aptitudes agricoles de la terre ou du climat y ont aussi leur part. Il est des pays coupés, morcelés par la nature même, qui semblent voués d’avance à la petite propriété. Il est des cultures, comme celle de la vigne par exemple, qui semblent appeler la division du travail et par suite la division du sol. Or quel peut-être, à ce double point de vue, le mode de propriété, le mode d’exploitation agricole le plus rémunérateur et le plus naturel en Russie ? Si une contrée semble tenir du sol la vocation de la grande culture et de l’exploitation mécanique, ne sont-ce pas ces larges plaines unies du tckernozom où rien n’arrête la charrue ou les machines ? ne sont-ce pas ces steppes sans fin où les troupeaux ne peuvent souvent trouver à s’abreuver qu’à des lieues de distance ? Il est vrai qu’aujourd’hui, dans la zone fertile surtout, La propriété tend plutôt à se diviser, à se fractionner, qu’à s’agglomérer. Il est vrai que ce sont les grands propriétaires qui vendent, les paysans qui achètent. C’est là un fait incontestable, mais qui me paraît dépendre de conditions économiques transitoires plutôt que de conditions naturelles permanentes. Rien n’assure qu’au mouvement actuel de morcellement des immenses domaines des anciens propriétaires ne succédera pas