Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

équitable de ce délicat problème ne serait-elle même pas plus aisée avec la propriété collective russe qu’avec la propriété individuelle anglaise, car dans le premier cas le propriétaire n’étant que la collectivité des cultivateurs réunis, ses intérêts sont identiques aux leurs, et près d’un tel maître les fermiers ne pourraient avoir grand mal à faire triompher leurs droits[1]?

Pour l’esprit impartial une chose est manifeste, c’est que beaucoup des inconvéniens du régime actuel ne sont nullement inhérens à la propriété collective» Ils tiennent souvent à des circonstances locales que l’on voit agir également sur la propriété personnelle; ils tiennent au manque d’instruction, au manque de capitaux, à l’agglomération des villages et à l’éloignement des terres, ils tiennent enfin aux conditions que la loi et le fisc font aujourd’hui à la commune russe. Nous touchons ici à un point important que nous ne pouvons aujourd’hui qu’effleurer. Beaucoup des plus graves défauts du régime rural de la Russie proviennent de son régime administratif et financier. C’est en partie l’état qui, en se servant du mir ainsi que d’un agent commode, en a fait un instrument d’oppression. C’est en grande partie l’impôt qui, en pesant d’une manière exorbitante sur la propriété commune, en a fait un instrument de gêne et de misère. La propriété collective se trouve ainsi placée en Russie dans des conditions qui l’ont complètement faussée et viciée.

C’est d’abord un fait général, une loi universelle, la solidarité devant l’impôt. Tous les détenteurs du sol communal sont également et réciproquement responsables des taxes les uns des autres. Voilà ce qui, non moins que le partage à bref délai, décourage l’initiative individuelle et ralentit le travail; ce n’est point la communauté de la propriété foncière, c’est, si l’on peut ainsi s’exprimer, le communisme de l’impôt qui, de même que tout système communiste, tourne uniquement au profit de l’ignorance et de la paresse. Le paysan aisé et laborieux craint de travailler au profit d’un voisin ivrogne et paresseux, qui ne tire point de la terre de quoi solder des taxes souvent hors de proportion avec le revenu de la terre. De là ce singulier et navrant spectacle, dans la Russie moderne comme dans notre France d’avant la révolution, du paysan se faisant parfois pauvre et misérable extérieurement pour éviter la saisie du collecteur d’impôts. On cite des cultivateurs aisés qui, pour se dégager de cette solidarité, ont renoncé à tout droit sur les terres du

  1. Cette question des améliorations du sol par le fermier et des dédommagemens auxquels ces améliorations lui peuvent donner droit à sa sortie, est une de celles qui préoccupent le plus aujourd’hui les agronomes et les économistes anglais. Voyez William E. Bear, The Relations of landlord and tenant in England and Scotland, publication du Cobden Club, Londres 1876, chap. I, III.