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période de jouissance. La répartition annuelle, pour les champs du moins, n’est déjà plus qu’une exception ; la répartition triennale se fait rare. Des périodes de dix, quinze, vingt, parfois même trente ans, deviennent de plus en plus fréquentes. En certains districts du gouvernement d’Orel, les paysans, instruits par l’expérience, ne recourent plus à une nouvelle répartition qu’à la dernière extrémité. Le ministère des domaines a, dit-on, fait mettre à l’étude la question de fixer un terme minimum pour la jouissance des terres arables, mais les mesures officielles sont déjà prévenues, et seront peut-être rendues inutiles par les décisions spontanées des communes rurales. Le cours naturel des choses apporte ainsi un remède à l’un des principaux inconvéniens de la tenure collective des terres[1]. En retardant les partages, on rend au paysan le précieux aiguillon de l’intérêt individuel, et à la terre le profit des longues jouissances et de la sécurité du travail. Le bénéfice de cette réforme est déjà sensible. Dans les gouvernemens de Toula et de Koursk, par exemple, la fumure et le rendement des terres ont augmenté avec l’allongement des périodes de jouissance. L’abrogation des partages fréquens des terres du mir a un autre avantage : elle retarde et limite les partages de famille. Les jeunes gens ou les jeunes ménages restent obligés de demeurer au foyer paternel ou d’aller vivre ailleurs en ouvriers salariés, jusqu’à ce qu’une nouvelle répartition leur donne accès à un lot du champ communal.


IV.

Le mode de répartition n’a pas moins d’importance, et aujourd’hui pas moins d’inconvéniens que l’époque même de partage. Là aussi le dommage est d’autant plus grand qu’on reste plus fidèle à l’esprit communiste et aux pratiques strictement égalitaires. Le principe communiste veut que chaque membre du mir ait un lot égal au lot de son voisin, et la commune russe s’y conforme d’ordinaire servilement. Pour qu’il n’y ait pas d’injustice possible, on cherche à faire des lots égaux à la fois en superficie et en valeur,

  1. Il est à noter qu’en Russie un grand nombre de propriétés personnelles sont soumises aux mêmes inconvéniens. La plupart des propriétaires, en effet, louent leurs terres aux communes de paysans, qui naturellement les cultivent de la même manière que leurs terres communales, en sorte que le régime de la collectivité s’étend indirectement au-delà du domaine de la communauté. » Quelle différence y a-t-il, disait récemment à ce propos un écrivain russe, entre une propriété personnelle mise chaque année en loyer et une propriété collective mise chaque année en partage? Il est plus difficile d’amener les propriétaires à allonger leurs baux que les paysans à reculer leurs partages. S’il faut une loi pour régler l’époque des derniers, pourquoi n’en faudrait-il pas pour régler la durée des premiers? » Kochelef, Ob obchtchinnom zemlevladénii v Rossii, p. 12-14, Berlin 1875.