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propriété collective. Dans notre âge de liberté individuelle et de libre concurrence entre les peuples comme entre les hommes, une institution économique ou politique ne peut en effet subsister qu’à deux conditions étroitement liées l’une à l’autre : la première est de ne pas gêner l’activité individuelle, la seconde, de ne point entraver la production nationale.


III.

Dans les temps où la population était plus diffuse, les communautés russes aujourd’hui restreintes à de simples villages ont parfois pu s’étendre à des divisions territoriales plus importantes. On en trouve un exemple contemporain chez les Cosaques de l’Oural, Cosaques grands-russiens d’origine, pour la plupart vieux croyans de religion et aussi attachés aux anciens usages qu’aux anciens rites[1]. Là, aux bords du fleuve Oural, a subsisté jusqu’à nos jours une vaste commune, un mir embrassant une grande région géographique; là une armée entière, seule propriétaire du sol qu’elle occupait, ne formait qu’une communauté indivise. On retrouvait presque intact au XIXe siècle le mode de propriété et le mode de jouissance de la tribu ou du clan des âges préhistoriques. Des steppes immenses, peu fertiles et peu peuplées, il est vrai, un espace de près de 9 millions d’hectares était la possession collective des Cosaques de l’Oural. Sur tout le cours du grand fleuve, dont on a fait la limite conventionnelle de l’Europe et de l’Asie, il n’y avait encore en 1874 pas un lot de terre appartenant en propre à un particulier, pas un lot même appartenant à une ville ou à une stanitsa (village ou division administrative et militaire des Cosaques). La jouissance ainsi que la propriété était commune. Au jour fixé par l’ataman, au signal donné par les officiers de chaque stanitsa, commençait la fenaison des prairies du bord des rivières, la principale richesse de cette ingrate région. Tous les hommes jouissant du titre de Cosaque se mettaient simultanément à l’œuvre, chacun traçant avec la faux dans les hautes herbes les limites du sol qui lui devait revenir. Tout ce qui, dans la première journée, avait été ainsi enclos par un cosaque lui appartenait de droit, et il pouvait ensuite le fau- cher à son aise avec sa famille. Dans cette vaste communauté, la terre comme l’eau, les champs ou les prairies, comme les pêcheries de la mer ou des fleuves, sont la propriété de tous, et sont exploités de la même manière, tous se mettant à l’ouvrage au même moment, sur un ordre et sous la surveillance des chefs, mais chacun

  1. Haxthausen, Studien, t. III, p. 153-162, donne une description du régime de ces Cosaques avant les récentes réformes.