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libres. Cet esprit, qui semble en opposition avec le régime de la communauté des terres, y trouve un encouragement, car c’est cette communauté qui à chaque homme ou à chaque ménage offre un lot de terre. D’un autre côté, la construction d’une maison de bois coûte relativement peu de chose ; tout Russe est charpentier, et chaque paysan sait en quelques semaines s’élever une demeure. Aussi depuis l’émancipation le nombre des izbas a-t-il considérablement augmenté. Cette division des familles, qui n’est qu’une conséquence de l’affranchissement, semble être une des principales causes du peu de résultats apparens de la liberté des paysans. Ces partages, aujourd’hui fréquens, ont deux sortes d’inconvéniens presque également graves pour l’agriculture et la prospérité du peuple. Le premier est, en séparant les parcelles attribuées par la commune aux membres de la même famille, d’amener un morcellement excessif du sol et des cultures ; le second est, en divisant à l’infini le capital d’exploitation et le matériel agricole, de mettre les paysans hors d’état de tirer de la terre ce qu’il pourrait lui faire rendre[1]. Si le mir fournit le sol, il n’avance point en effet les moyens de le mettre en valeur. De cette façon, les inconvéniens inhérens au régime de la communauté et au partage des terres communales sont encore aggravés par les partages de famille.

La décadence des mœurs patriarcales peut ainsi devenir indirectement un obstacle au progrès du bien-être des paysans et à la production nationale même. Les dépositions de la grande enquête agricole sont à peu près unanimes à cet égard[2]. Aussi a-t-on songé à porter remède à ces inconvéniens en apportant des restrictions légales aux partages. La commission d’enquête demande que les biens de la famille, et surtout son matériel agricole, ne soient partagés avec les membres sortans que dans des conditions déterminées par la loi. Le ministère que regardent plus spécialement les affaires des paysans, le ministère des domaines, s’est dans ces deux dernières années occupé de cette question. On a proposé par exemple

  1. On peut trouver des calculs à ce sujet dans un livre russe imprimé à Stuttgardt, Molodaïa Rossia, 1874, p. 65-66.
  2. Cette commission, réunie sur la proposition et sous la présidence du ministre des domaines, M. Valouief, était composée de hauts employés des ministères de l’intérieur, des domaines et des finances. Le principal objet de ses observations, dirigées à l’aide d’un vaste questionnaire, a été l’étude des effets de la propriété collective. La commission a reçu et publié environ un millier de rapports ou dépositions écrites, elle a entendu de vive voix plus de deux cents personnes, pour la plupart gouverneurs de province, maréchaux de la noblesse, membres des assemblées provinciales, etc. Par malheur, au milieu de tous ces déposans, il y a fort peu de paysans ou de fonctionnaires ruraux, fort peu d’hommes participant directement à la propriété commune ainsi soumise à l’enquête. En dépit de la haute intelligence et de l’impartialité voulue des rapporteurs, cette absence des représentans naturels des communautés rurales affaiblit en partie les conclusions de la commission.