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personnel, ne dépasse guère 1 ou 2 pour 100 de la totalité, et encore ces propriétés individuelles sont-elles presque toutes d’origine récente, issues de partages définitifs faits depuis l’émancipation. Jusqu’en 1862, les seuls propriétaires personnels, en dehors des nobles et de quelques colons étrangers, étaient les odnovortzy, qui par là même formaient une petite classe à part au milieu de la société russe[1]. Dans la Russie occidentale, jadis soumise à la domination de la Pologne ou de la Suède, et par là en plus étroite relation avec l’Europe, règne au contraire la propriété individuelle. A cet égard on pourrait presque dire que les limites des deux modes de tenure de la terre marquent encore les anciennes frontières de l’état moscovite et de l’état lithuano-polonais[2]. Dans quelques gouvernemens, il y a mélange des deux formes ; dans un ou deux, les Russes ont sans beaucoup de succès tenté d’acclimater la communauté. C’est ce qui s’est fait par exemple dans le gouvernement de Moghilef. Le système collectif et solidaire de la commune grande-russienne y a été introduit après l’émancipation et l’insurrection polonaise de 1863; mais si l’on en croit certaines dépositions de l’enquête agricole, les paysans n’effectuent réellement pas le partage des terres et regardent ce régime comme une autre sorte de servage. Dans la province voisine de Minsk, rien n’a pu les décider à substituer à notre mode occidental d’occupation du sol le mode grand- russien. Les Petits-Russes passent, comme les Bielo-Russes, pour répugner à la communauté. Il n’en est pas cependant toujours ainsi : sur la rive orientale du Dnieper, dans le gouvernement de Voronège par exemple, on rencontre des Petits-Russiens non moins habitués et non moins attachés au régime de la communauté que leurs voisins grands-russiens[3].


II.

Aux communautés de village de la Grande-Russie, on peut trouver un type primitif plus ancien, plus simple encore et cependant toujours

  1. Voyez la Revue du 1er avril.
  2. Dans la Lithuanie proprement dite, c’est-à-dire dans les gouvernemens de Kovno et de Vilna, de même que dans les trois provinces baltiques, on ne connaît que la propriété individuelle. Cette dernière a même été introduite dans quelques districts voisins de la Grande-Russie, du gouvernement de Pskof en particulier, par les colons esthoniens ou lettons de la Livonie et de la Courlande. En Russie-Blanche et en Petite-Russie, la propriété individuelle l’emporte encore sans comparaison, bien que son règne ne soit plus aussi exclusif.
  3. Ceci ressort de l’enquête agricole, t. II, gouvernement de Voronège. Pour terminer ce tableau, nous ferons remarquer que dans le gouvernement de Kherson, région d’Odessa, règne la propriété individuelle. En Bessarabie, où les Russes se mêlent aux Roumains, les deux systèmes coexistent. Il est à noter que plusieurs des colonies allemandes les plus florissantes, celles du Bas-Volga en particulier, ont adopté l’usage russe des partages périodiques.