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« Or depuis que la chambre des pairs existe, elle n’a jamais rejeté un budget ni fait d’amendement au budget. Qu’en résulte-t-il? C’est qu’elle n’a jamais trouvé que les circonstances fussent assez graves et que les amendemens introduits par la chambre des députés fussent de nature à la déterminer à user de son droit. C’est dans sa sagesse, dans sa prudence, qu’elle a procédé ainsi, et il n’a été fait aucune violence ni à son indépendance ni à sa dignité. J’irai plus loin : si, — jusqu’à présent ce cas ne s’est point présenté, — il arrivait qu’une mesure désastreuse vînt à être adoptée par la chambre des députés, le devoir comme le droit du gouvernement serait de demander des modifications, et le devoir comme le droit de la chambre des pairs serait de voter ces modifications. Si c’était à une époque où la chambre des députés fût dispersée, on pourrait compter sur son patriotisme pour se réunir de nouveau. »


Une déclaration aussi catégorique et aussi précise, faite au nom du gouvernement, semblait de nature à mettre hors de toute contestation le droit de la chambre des pairs; néanmoins, à la session suivante, M. le comte de Saint-Cricq, rapporteur du budget des dépenses pour 1838, crut devoir renouveler, au début même de son rapport, la protestation de ses devanciers, et il le fit en des termes qui méritent d’être rappelés, à cause de la netteté avec laquelle la question est posée et de l’heureuse alliance qu’ils présentent de la fermeté avec la modération du langage :


« Comme les commissions qui l’ont précédée, disait M. de Saint-Cricq, votre commission a regretté la sorte de contrainte morale que faisaient peser sur elle et la saison déjà avancée et l’absence de fait d’une des branches de la législature. Toutefois ce regret n’est pas allé jusqu’à la faire se considérer comme dépourvue de toute liberté. La charte, s’est-elle dit, a voulu que les lois d’impôt fussent d’abord délibérées à la chambre des députés; mais la charte veut aussi que toutes les lois soient librement votées par les deux chambres. En tenant compte des motifs qui ont fait attribuer à la chambre élective cette priorité nécessaire, on reconnaît qu’ils imposent à la chambre des pairs une juste circonspection.

« Pour les lois ordinaires, il lui suffit d’avoir conscience d’une amélioration possible pour en faire l’objet d’un amendement, et de cet échange de lumières dont les deux chambres se savent gré l’une à l’autre résulte le perfectionnement de la législation générale. Mais quand il s’agit du règlement des budgets, règlement qui ne dispose que pour une année, il semble conforme à la nature des choses que la chambre des pairs, si elle croit y apercevoir quelques besoins publics mal appréciés, procède plutôt par voie d’observations et de conseils que par voie d’amendemens, et il est juste de reconnaître que ces conseils