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ville au lieu même où Mendoza avait débarqué en 1535 et avait vu mourir de faim et de misère plus de mille de ses compagnons, offre comme prime aux aventuriers qu’il cherche à recruter, non pas l’exploitation facile et lucrative de mines d’or comme au Pérou, mais la chasse et la prise des animaux abandonnés dans la pampa, et qui, depuis le départ de la première expédition, se sont assez multipliés pour qu’un créancier de l’état ait offert au gouverneur de l’Assomption d’accepter-en paiement de 30,000 douros qu’on lui doit le droit de prise des chevaux sauvages. On comprend aisément à quelle classe devaient appartenir ceux qui se laissaient embaucher pour une telle aventure. De ces immigrans alliés aux indigènes devait sortir ce type nouveau, le gaucho, être composite, ayant emprunté aux Indiens leurs armes, le lasso et les bolas, à l’Espagnol le cheval; sans être pasteur, vivant de la chasse des troupeaux, bronzé, assombri par l’intempérie, il s’est imprégné de la poésie triste et monotone de la pampa; forcé qu’il est de boire l’eau saumâtre des lagunes, il a perdu le goût des boissons douces et pris celui des breuvages alcooliques. On ne saurait nier que ce type nouveau continue la race indienne trouvée au même lieu au XVIe siècle, beaucoup plus qu’il ne continue la race européenne. Ainsi se forme un type sur la limite des estancias et de la pampa stérile, qui, à chaque génération, accuse davantage dans ses traits l’influence du milieu barbare où il s’est développé ; quelques-uns de ces hommes restent confinés dans la barbarie, beaucoup tendent à en sortir, s’élèvent même par l’armée, par l’administration, par une suite de chances heureuses qui leur donnent une fortune et leur ouvrent les portes de la société des villes; là, ils créent une famille, et ainsi s’opère encore aujourd’hui l’introduction continue du sang indien dans les veines de ce peuple en formation, dans le pays même où il semble que la fusion doive rencontrer le plus d’obstacles.

Analyser le génie des races indiennes de l’Amérique du Sud, étudier leurs aptitudes, leurs langues, leur industrie, les manifestations variées de leur civilisation, c’est donc bien réunir les élémens de l’histoire des origines des sociétés sud-américaines. Il semble aujourd’hui que les écrivains indigènes s’occupent de rassembler les documens épars de cette histoire qui reste à faire, dont l’intérêt se révèle davantage à mesure que les races indiennes sont mieux connues et que nous nous éloignons du système de destruction professé par les conquérans.


EMILE DAIREAUX.