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depuis le 34e degré jusqu’au Cap-Horn, au milieu de la rudesse de leurs mœurs, laissaient entrevoir un développement intellectuel se manifestant par des productions poétiques, par un certain goût pour les plaisirs de l’esprit, plutôt que pour un bien-être matériel que la nature de leur pays leur refusait absolument. Parmi ces peuples, nous avons cité les Araucans, les Pehuenches, les Patagons et avec eux beaucoup de tribus, même de la pampa.

A côté de ces peuples et tribus qui se dénonçaient par les côtés variés de leur intelligence native développée dans l’isolement, d’autres existaient, qui ont disparu laissant un nom, comme les Caraïbes, les Charruas, les Querandies, et avec eux beaucoup de tribus irréconciliables de la pampa, détruites sans avoir été absorbées. La nation dont la destruction est le plus moderne est celle des Charruas. Leur résistance est restée célèbre; ce furent eux qui tuèrent Solis et ses compagnons, les premiers explorateurs de la Plata en 1515. Azará écrivait en 1800 : «Peut-être les Charruas ont-ils coûté plus de sang à l’Espagnol que les nombreuses armées de l’Inca et de Montezuma, et cependant leur nombre ne s’élève pas au chiffre insignifiant de 400; on a essayé contre eux toujours en vain de petites et de grandes expéditions; sobres, agiles et forts, plus grands en moyenne que les Européens, tous coulés dans le même moule, au visage énergique et bronzé, encadré de cheveux longs et touffus, ils avaient l’œil perçant, l’ouïe extraordinairement fine, les dents blanches, la main et le pied petits. » C’est là tout ce que nous savons de ce peuple; tous sont morts, jusqu’au dernier, sans avoir livré le secret de leur vie, de leur âme ou de leur langage. Ils furent définitivement vaincus en 1831; quelques-uns, emmenés prisonniers à Montevideo, y furent vendus et livrés à Paris à un entrepreneur de cirque forain : le dernier a fini cette triste captivité funambulesque dans un hôpital de Paris.

Ce peuple du moins expiait ainsi une longue résistance armée qui avait commencé par un crime et duré trois siècles ; mais, si les Espagnols châtiaient si rudement la résistance, il ne faudrait pas croire qu’ils payaient aussi de retour l’excellent accueil que leur firent les races plus civilisées. Nous chercherions en vain en effet les avantages que la conquête de l’Amérique peut avoir apportés à la race indienne. Il est inutile de demander aux Quichuas ce qu’ils peuvent avoir gagné à être vaincus sans avoir combattu : dispersés, massacrés, employés aux travaux les plus, rudes des mines, réduits en esclavage et vendus sur les marchés comme esclaves malgré les ordonnances royales. Les Guaranis, de leur côté, si doux, si humbles, se prêtant à tous les caprices de l’Européen, lui fournissant des vivres, des maisons, le bien-être d’un pays riche en productions naturelles, lui donnant leurs filles, ont trouvé au Brésil l’esclavage