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à l’origine par une seule tribu, les membres qui composaient ce groupe primitif ont dû se modifier à l’infini après s’être séparés en plusieurs branches et s’être répandus dans des régions si différentes les unes des autres. Dans cette partie du monde en effet qui s’étend depuis la zone torride jusqu’aux glaces éternelles du Cap-Horn, le sol est aussi varié dans ses formes et son aspect que le climat dans ses effets. À l’Occident, une vaste chaîne de montagnes s’élève à des hauteurs inconnues en Europe et suit les rives de l’Océan, couverte de glaces perpétuelles à son extrémité sud : stérile, sèche, brûlante sur les pentes abruptes de son versant ouest, elle est ornée d’une végétation active sur son versant est. Entre cette chaîne de montagnes et celles de la côte du Brésil, s’étend une plaine de plus de 40,000 lieues carrées, variée elle-même à l’infini ; là tout est immense : immenses les plaines nues, immenses les forêts, immenses les cours d’eau. Au nord du 32e degré, des forêts épaisses couvrent le sol au centre, la pampa et la forêt semblent quelque temps se disputer le terrain : ici le bois domine, là il diminue et ne se manifeste bientôt plus que par des buissons épineux et quelques arbustes dégénérés ; puis la forêt reparaît dans toute sa splendeur, favorisée dans son développement par quelque rivière, jusqu’à ce qu’enfin la pampa se découvre, infinie, sans limites et sans accident.

Les nations qui se partageaient ce territoire si varié étaient innombrables, et l’on a cru reconnaître jusqu’à huit cents idiomes dans cette partie du monde ; mais toutes se rattachaient plus ou moins à quatre grands rameaux : les peuples qui habitaient les vallées des Andes à l’ouest de la Cordillère, soumis à l’autorité des Incas et connus sous le nom de Quichuas, — la race guaranie, qui occupait les rives fertiles des grands fleuves et une grande partie du Brésil actuel, — les Araucans, habitant dans la partie sud des Andes les forêts de l’Arauco, assombries par les cyprès, les thuyas, les pins et les araucarias, — enfin tous les peuples, chasseurs ou pêcheurs, qui sous le nom de Patagons, Fuègiens, Pampéens, occupaient ou parcouraient, sans se fixer dans un lieu déterminé, la partie la moins fertile, la moins hospitalière du continent.

Ranger tous ces peuples sous la dénomination générale de barbares serait méconnaître les caractères particuliers de chacun d’eux et la valeur individuelle de chaque nation. L’ignorance seule des premiers explorateurs pouvait porter ce jugement injuste et irréfléchi. En réalité, le seul caractère commun qu’il y eût entre tous les peuples de ces régions, et cela paraîtra étrange, était l’extrême douceur de mœurs et le caractère serviable et hospitalier. Il suffit de lire sans parti-pris les chroniques véridiques pour se convaincre