Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où nous lisons ce passage : * Quoi ! l’église périt, et nous nous tairions... Les ennemis da nom chrétien ôtent à Jésus-Christ des provinces entières, et nous en entendrions le récit comme d’une victoire politique? » Bossuet, dans l’oraison funèbre de Marie-Thérèse, exprimait les mêmes sentimens et pleurait sur la Hongrie et l’Autriche ravagées ; mais il répondait aux pensées secrètes du roi de France quand il s’écriait : « Puisse la chrétienté ouvrir les yeux et reconnaître le vengeur que Dieu lui envoie ! Pendant qu’elle est ravagée par les infidèles qui pénètrent jusqu’à ses entrailles, que tarde-t-elle à se souvenir et des secours de Candie et de la fameuse journée de Raab, où Louis renouvela dans le cœur des infidèles l’ancienne opinion qu’ils ont des armes françaises? »

On le voit, Louis XIV n’avait renoncé que bien malgré lui à la croisade; c’est la chrétienté qui, justement défiante, l’empêchait de combattre les infidèles. Néanmoins, c’était dépasser la mesure que d’accuser le roi très chrétien d’avoir par esprit de vengeance et de domination déchaîné les Turcs[1]. En cette année mémorable, 1683, il parut à Cologne un grand nombre de pamphlets où ce grief fut nettement, trop nettement articulé. Mentionnons : l’Abrégé du dessein ottoman sur la chrétienté par la France ; la France turbanisée; le nouveau Turc des chrétiens. Ce nouveau Turc, est-il besoin d’en prévenir le lecteur? c’était Louis XIV lui-même. Colbert qui, pendant vingt-deux ans, s’était opposé de toutes ses forces à une attaque dirigée contre l’Orient, dut autant et plus que son roi être exposé à la malveillance de l’opinion. En France, comme à l’étranger, on remarqua que le célèbre contrôleur des finances était mort dans la semaine où Sobieski délivra Vienne (6-12 septembre 1683). De là l’idée d’un curieux pamphlet qui a pour titre : Entretien dans le royaume des Ténèbres sur les affaires du Temps entre Mahomet et M. Colbert, cy-devant ministre de France. Mahomet remercie vivement Colbert de la protection qu’il n’a cessé d’accorder aux Turcs, et il lui annonce, à sa grande stupéfaction, la victoire des chrétiens. Colbert répond qu’il ne s’est proposé qu’un but : infliger à la France un régime semblable à celui que les sultans font peser sur la Turquie. C’est ainsi, ajoute-t-il, que la noblesse a été systématiquement abaissée, et tous les Français réduits à l’état d’esclaves.

La délivrance de Vienne fut le signal de la décadence de l’empire turc. Deux grands généraux d’origine française, Charles de Lorraine et Eugène de Savoie, remportèrent victoire sur victoire

  1. Voyez Lettre de M. S. L., seigneur polonais, à M. le marquis C. L., où l’on voit manifestement les pratiques et menées secrètes des Français avec les Turcs et les Hongrois rebelles. Ratisbonne (1683).