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dans cette affaire, prierait le pape de diviser d’avance les états du Turc et de leur assigner un point d’attaque. Si les Espagnols ne voulaient pas marcher sous les étendards de la France, on pourrait prendre celui de l’église et « déclarer le roi généralissime des armées chrétiennes et chef de la croisade. »

A quoi bon se consumer en dépenses inutiles? Quand même les Français se rendraient maîtres de la Turquie, ils ne gagneraient rien à cette conquête. — Et pourquoi donc le roi de France serait-il moins heureux que le roi d’Espagne, qui garde les royaumes de Naples, de Sicile, des Indes occidentales, du Mexique? En mettant les choses au pire, il poserait la couronne d’Orient sur la tête d’un des princes de son sang royal[1]. Si le nouveau monarque mourait sans héritiers mâles, c’est le roi de France qui désignerait son successeur. Un traité d’union perpétuelle serait conclu entre le suzerain et le vassal. D’ailleurs la France se réserverait quelques îles de l’Archipel, « tant pour la commodité de son commerce que pour obliger cette puissance à être plus attachée à ses intérêts. » Enfin le père Justinien lâchait son grand argument : « Ne serait-ce pas assez d’avoir établi un empire catholique sur les ruines de celui des mahométans? »

Voici les procédés qu’il conseillait pour arracher la péninsule des Balkans à l’islamisme d’abord, puis au schisme grec[2]. Le port d’armes serait interdit à tous. — Un gouverneur français serait établi dans chaque province; à côté de lui siégerait un juge originaire du pays. On mettrait dans les places des garnisons composées de chrétiens orientaux et de Francs. Afin de « fortifier de jour à autre le parti des chrétiens » et de diminuer le nombre des mahométans, on ferait peser sur ceux-ci les impôts que paient actuellement ceux-là. Cela ne durerait pas plus d’un an. Pour se soustraire à cette vexation, les infidèles se feraient baptiser; mais on profiterait de l’occasion pour les contraindre à se faire catholiques romains et non pas grecs ou arméniens.

Après avoir réduit les musulmans, on réduirait à leur tour les schismatiques. On les traiterait d’abord comme des frères en Jésus-Christ. On ordonnerait aux chrétiens de toute secte de porter le turban rouge ou le chapeau. Cette conformité de livrée et de couleur serait une admirable préparation à la fusion des croyances. Les églises seraient communes. Il ne serait plus permis de dire : l’église des Francs, des Grecs ou des Arméniens. On recommanderait à tous les patriarches, à tous les évêques, de prêcher l’obéissance

  1. A la date de 1675, Michel Febvre aurait voulu deux monarchies à part (Europe et Asie), sous deux Bourbons.
  2. Voyez page 277 de l’État présent de la Turquie (1675).