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faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand-Seigneur environné, dans son superbe sérail, de 40,000 janissaires. » Michel Febvre a été capable d’un tel effort. Il chicane les 40,0000 janissaires et le Grand-Seigneur lui-même. Sa science et sa pénétration sont au-dessus de tout éloge. Nous le préférons de beaucoup au célèbre Tavernier : ce que Tavernier a entrevu, Febvre l’a observé à loisir. On loue assez justement Leibniz d’avoir, dans son Consilium Ægyptiacum, mis à nu les causes du déclin de l’empire turc. Toutefois, en y regardant de plus près, on se convainc que Leibniz s’est inspiré de notre de Brèves. Febvre reste donc hors de pair. Il prétend exposer « scientifiquement, » — c’est son mot, — les choses orientales : il n’a visé ni trop haut ni trop loin.

Comme Leibniz, il eut la pensée de s’adresser à Louis XIV et de lui soumettre a les moyens qu’on doit tenir pour subjuguer facilement et en peu de temps la Turquie et pour la conserver après la conquête. « Il s’imposa résolument la tâche de traduire de l’italien en français son État présent de la Turquie. Il fit offrir ou offrit lui-même à Louis XIV son manuscrit. Il lui disait dans son épître : « Si ce livre est assez heureux d’être regardé favorablement de votre majesté, il paraîtra en public. » Le fait seul de sa publication montre donc qu’en effet Louis XIV l’agréa. Le père Justinien avait déclaré au monarque « que, passionné au possible pour sa gloire, il espérait en voir un jour le comble dans la conquête de la Turquie. » Louis XIV, qui naguère avait applaudi au vers de Boileau :

Je t’attends dans deux ans aux bords de l’Hellespont,


approuva également la démonstration du père Justinien; mais la guerre de Hollande, et, immédiatement après, les conquêtes françaises en pleine paix, le retinrent bien loin des Dardanelles. Le père Justinien ne se découragea pas, puisqu’il traduisit encore de l’italien en français son second ouvrage; mais cette fois ce fut à Louvois, non à Louis XIV, qu’il dédia cet autre travail, le plus considérable des deux. Il lui disait en propres termes : « Monseigneur, votre excellence y reconnaîtra les moyens dont on pourrait se servir pour détruire la puissance ottomane et pour rétablir la religion chrétienne dans les pays d’où elle s’est communiquée au nôtre. Votre zèle pour la gloire de Dieu et le crédit que vous avez auprès du roi peuvent beaucoup contribuer à ce grand exploit. »

Les dernières pages du Théâtre de la Turquie sont consacrées à la solution « des objections et difficultés qu’on fait d’ordinaire touchant la future entreprise de la conquête de la Turquie. » A ceux