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avec Sully « l’établissement d’une forme de république ou monarchie dite très chrétienne », « la formation et l’entretien continuel des armées suffisantes pour recouvrer le reste des provinces de l’Europe que les infidèles ont envahi. » Dans la réalisation de cette ligue permanente contre les infidèles, on remarquera que Henri IV (d’après Sully) attribuait au pape un rôle prépondérant, exactement comme l’avait fait La Noue, Bras-de-Fer. Voilà bien sans doute pourquoi de Brèves, à peine revenu de Constantinople, fut envoyé à Rome. Nous avons la preuve que cet ambassadeur, longtemps dévoué à « l’alliance qu’a le roi avec le Grand-Seigneur », devint subitement l’ennemi mortel des Turcs. A qui attribuer cette conversion? Au roi ou au pape? Peut-être à tous les deux. Constatons dès à présent que Henri IV, désireux « de décharger les états de leurs mauvaises humeurs » et « d’augmenter l’étendue de la chrétienté », avait fait, plus soigneusement que La Noue lui-même, le devis des forces de la prochaine ligue contre les infidèles. D’après Sully, elle aurait disposé de 117 vaisseaux, de 220,000 fantassins, de 53,800 cavaliers et de 217 canons. Chacun des états était requis de fournir un contingent en rapport avec ses ressources. Il était stipulé que l’on n’attaquerait pas simultanément tous les infidèles. On se garderait bien d’en assaillir deux à la fois. « Tout au contraire, il faudrait essayer de prendre intelligence avec tous les autres. » C’est-à-dire que l’on se concilierait l’alliance des rois de Perse et du Maroc et d’autres princes musulmans contre le Grand-Seigneur. Il ne faut pas croire que le grand dessein de Henri IV n’ait été communiqué qu’à Sully, à de Brèves et au pape. J’ose dire que c’était là le secret de tout le monde. En 1609, au moment où il n’était plus douteux que le roi tournerait ses forces non contre le Turc, mais contre la maison d’Autriche, Jacques Esprinchard, escuyer, sieur du Plom, auteur d’une Histoire des Ottomans ou empereurs des Turcs jusqu’à Mahomet III, écrivait dans sa dédicace au dauphin : « Là se verront leurs forces (des Turcs), leurs desseins, les moyens d’en défendre la chrétienté, même de ruiner l’empire Turquesque ou du moins le priver de ce qu’il possède en Europe. Et qui sait si vous ne serez point cet empereur des Gaules, qui suivant la fatale créance des Turcs serez appelé à faire ce grand œuvre? »

Ce que Esprinchard disait en prose, le poète Jacques de la Fons, Angevin, l’exprimait en vers un peu sauvages dans un poème intitulé le Dauphin[1] :

  1. Nous en possédons un exemplaire orné d’un portrait de Louys, dauphin de France, âgé de huit ans (1609).