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si, après avoir épouvanté l’Asie, il avait voulu réaliser la terrible parole de son ancêtre l’Éclair touchant Rome et saint Pierre, nul doute que cette croisade, la croisade pro ans et focis, ne se fût accomplie.

Selim et Léon X, les deux souverains pontifes, le vicaire de Mahomet et celui du Christ, disparurent presque en même temps. La rivalité du roi de France et de l’empereur d’Allemagne permit à Soliman le Magnifique de prendre impunément Rhodes et Belgrade. Défait et captif, humilié par le traité de Madrid, François Ier se décida à « appeler tous les esprits des enfers pour rompre la teste à son ennemi. » Toutefois cela se fit en cachette, à l’insu de la France comme du reste de l’Europe. Barthélémy de Salignac, protonotaire du saint-siège, dans son itinéraire en terre-sainte, écrit en latin et imprimé à Lyon l’an 1526, croit naïvement que la revanche de Pavie devra être prise par les Français sous les murs de Jérusalem. Salignac, qui est un Français après tout, dit formellement au roi des gentilshommes : « Si vous avez éprouvé un échec dans les plaines du Tessin, que ces nouveaux trophées en abolissent le souvenir. C’est maintenant, maintenant qu’il convient de mettre à exécution le dessein que votre cœur royal a conçu touchant l’empire de Constantinople. »

Ce n’est pas à Jérusalem, c’est à Mohacz que François Ier prit, quoique absent, sa revanche. Il attacha l’islamisme aux flancs des Habsbourg, qui eurent à le combattre sur terre et sur mer. Chose remarquable, le pape Clément VII, traqué jusque dans le château Saint-Ange par le chef du saint-empire, ne refusa pas la main de sa nièce, Catherine de Médicis, à l’allié discret des Turcs, qui les détestait publiquement, tout en les encourageant à bombarder Nice. Bref, le roi de France usait des mêmes procédés et à l’égard des musulmans de Turquie, et envers les protestans d’Allemagne. Il déchaînait hérétiques et mécréans contre la maison d’Autriche; il les faisait consciencieusement brûler dans son royaume, et par là il montrait qu’il était bien toujours le roi très chrétien.

D’ailleurs rien n’était changé dans l’opinion. Quand le nom de Turcs venait sous la plume du plus tolérant, du plus sceptique des bourgeois de Paris, il était infailliblement, inexorablement flétri, en compagnie de ceux de « voleur, meurtrier et assassinateur[1], » Presque chaque année paraissait, en latin ou en français, quelque diatribe ou harangue contre les Turcs, avec privilège du roi, sans que notre alliance avec Soliman courût le moindre danger. En effet,

  1. Voyez, par exemple, la Harangue de monsieur d’Aubray pour le tiers état, dans la Satire Ménippée.