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jeunes années; elle était pour moitié au moins dans les succès mondains auxquels il attachait tant de prix. Il ne lui survécut guère; la mort le surprit doucement au mois d’octobre 1871.

De tous les géologues dont le nom se retrouve dans les pages qui précèdent, de tous ces savans à qui nous devons de connaître comment est faite l’écorce de notre planète, comment est constitué le sol que nous foulons, il n’en reste pour ainsi dire pas un seul. Humboldt et De Buch en Allemagne, Élie de Beaumont et le comte de Verneuil en France, Agassiz en Amérique, Sedgwick et Lyell en Angleterre, tous ont disparu. Quel rang tiendra parmi eux l’homme aimable dont nous avons essayé de retracer la vie, qui fut tant de fois leur associé, leur compagnon?

Sir Roderick Murchison était bon observateur, consciencieux et laborieux; par malheur, l’esprit philosophique lui faisait défaut aussi bien que l’imagination, à tel point même qu’il se défiait de ceux qui voulaient théoriser. En outre, il était entré tard dans la carrière scientifique, et sans préparation. C’est en France une tradition de notre haut enseignement que l’on ne doit aborder les sciences dites appliquées qu’avec une instruction mathématique suffisante. Comme Platon à la porte de son académie, nous semblons inscrire au fronton de nos facultés et de nos écoles spéciales, du moins en tête de leurs programmes : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre. » Il est incontestable que ce mode de procéder inculque un peu de raideur à la pensée, peut-être au caractère; mais, par une heureuse compensation, il donne plus de précision et de méthode aux sciences faciles que l’on apprend à son aise. Nos géologues, par exemple, ont des doctrines plus doctorales, ils se livrent moins aux hypothèses légères que leurs confrères d’outre-Manche. Lorsqu’ils contestent les théories nouvelles, ce n’est point par mépris des nouveautés, c’est parce que la nature obéit à des lois qu’ils ont étudiées en d’autres branches des connaissances humaines. On a reproché quelquefois à Lyell et à ses disciples de méconnaître la connexion étroite qu’il y a entre toutes les œuvres de la nature. Murchison a évité cet écueil par un excès d’autre genre : il a exagéré le respect dû à d’anciennes opinions. Remuer les idées ne fut jamais son affaire. Ce fut un savant agréable, un ami obligeant, un président incomparable et un dilettante. D’autres ont eu moins de réputation qui avaient pénétré plus avant dans la connaissance de la nature.


H. BLERZY.