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grawacke, et autres expressions malsonnantes. D’autres, tels que Lyell, ont forgé des mots grecs d’allure prétentieuse, comme les épithètes de mésozoîques ou cainozoîques appliquées aux terrains secondaires ou tertiaires. Murchison sentait que ces mots ne seraient jamais admis par le vulgaire; avec le sentiment esthétique dont il était doué, il désigna le terrain qui était l’objet favori de ses études par le nom des Silures, anciens habitans de la contrée où l’avaient conduit ses premières études. Certain général de l’empire romain, après avoir battu les troupes de Caractacus, roi des Silures, avait juré d’effacer jusqu’à leur nom. Le jeune montagnard écossais mettait quelque amour-propre à faire revivre le souvenir de cette peuplade primitive.

Dès lors la Silurie devint à ses yeux une sorte de propriété personnelle, ou, pour mieux dire, un domaine dont il était le seigneur, où il ne souffrait pas volontiers les incursions de ses confrères en géologie. Sedgwick en avait fait presque autant pour le terrain cambrien qui, dans la chronologie géologique, est juste antérieur au silurien. Malgré la communauté d’études qui les unissait, il s’élevait entre eux deux de fréquentes disputes, fort aigres à la longue, pour savoir si telle ou telle couche douteuse appartenait à l’un ou à l’autre. Au surplus, le sujet était si vaste que Murchison pouvait bien compter en avoir pour sa vie entière à l’élucider. C’était dans le pays de Galles ou dans ses montagnes natales de l’Ecosse qu’il en avait commencé l’étude; mais le grawacke était signalé dans bien des contrées de l’Allemagne, en Norvège, en Russie, dans quelques provinces de la France. Il lui restait à parcourir ces pays à pied, le marteau à la main, pour y déterminer le gisement et les limites des strates qu’il avait prises sous son patronage. Il y avait épuisé l’effort d’originalité dont il était capable; au moins ne voulait-il pas laisser l’œuvre interrompue.

Après une excursion préliminaire dans la vallée du Rhin, puis à Berlin, où vivaient alors quelques savans, Alexandre de Humboldt, Léopold de Buch, Ehrenberg, d’autres encore, adonnés à l’étude de l’écorce terrestre, Murchison entreprit de parcourir la Russie pour y suivre à la trace les anciens terrains dont il se faisait une étude spéciale. Il avait pour compagnon un paléontologiste français, M. de Verneuil, plus versé que lui dans la connaissance des fossiles. Les roches de l’Ecosse et du pays de Galles, qui avaient seules servi au début à déterminer la succession des terrains de transition, s’offrent à l’observateur bouleversées par un grand nombre de révolutions plus modernes. Tout y est disloqué, tant la croûte terrestre a été secouée par les convulsions de la nature. Au nord-ouest de l’Europe, au contraire, les roches anciennes semblent être encore dans