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LA MARINE
ET
SON BUDGET


I.

Le général anglais Napier raconte, dans son Histoire de la guerre de la Péninsule, qu’au milieu des fluctuations d’un combat de cavalerie en Portugal un régiment anglais était ramené par nos dragons. Dans la mêlée, un jeune sous-lieutenant français gagna de vitesse le colonel ennemi et allait le frapper lorsque, s’apercevant qu’il était manchot, il lui fit avec son sabre le salut militaire et courut à d’autres adversaires. Ce que fit là notre sous-lieutenant, quiconque a un cœur de soldat le referait aujourd’hui, car. Dieu merci, il y a encore des sentimens chevaleresques aux armées; mais faudrait-il compter sur une semblable générosité de la part de nos ennemis, si le manchot était la France et si on lui coupait comme inutile le bras puissant qu’elle étend sur la mer? Assurément non.

Qu’arriverait-il si, suivant certains conseils, on supprimait ou, ce qui revient au même, on laissait s’étioler et dépérir notre marine militaire, faute de lui assurer l’aliment nécessaire à sa subsistance? Il arriverait que toute l’étendue de nos côtes, de Dunkerque jusqu’à Nice, c’est-à-dire la moitié de nos frontières, seraient à toute heure exposées sans défense aux incursions, aux dévastations, aux exactions, aux insultes, qu’il plairait à tout état possédant des vaisseaux de nous infliger. Eussions-nous des armées de terre innombrables, elles seraient impuissantes à nous préserver, soit du mal lui-même, soit de la crainte du mal et de l’intolérable sentiment