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paix, dans toutes ces complications orientales, l’Italie se retrouvera sûrement avec la France parce qu’elle a les mêmes intérêts. Au point de vue intérieur, le cabinet qui existe aujourd’hui peut tenir à se distinguer dans une certaine mesure de ceux qui l’ont précédé au pouvoir. En réalité il est, comme tous les autres, dévoué à la royauté constitutionnelle. Le président du conseil, M. Depretis, est un vieux Piémontais attaché au roi et aux traditions de la monarchie libérale ; il a mis récemment un zèle chaleureux à le déclarer de nouveau dans son discours de Stradella, et le ministre de l’intérieur lui-même, M. Nicotera, n’a laissé depuis quelques mois passer aucune occasion de protester de sa fidélité monarchique, de décourager les fauteurs d’agitations qui auraient cru devoir compter sur lui. C’est presque avec des couleurs conservatrices que le cabinet se présente aux élections. Les réformes qu’il se propose de soumettre au parlement, s’il reste au pouvoir, sont plutôt de l’ordre économique, elles touchent à la perception de certains impôts, aux chemins de fer. Quant à la réforme électorale inscrite dans les programmes ministériels, M. Depretis n’en a parlé qu’avec une extrême mesure, sans dissimuler la gravité de la question, sans aller dans tous les cas jusqu’à promettre même de loin le suffrage universel. En un mot, c’est une hardiesse assez modérée, et pour juger exactement les partis au-delà des Alpes, il faut bien dire que, si le cabinet d’aujourd’hui ne semble pas disposé à trahir les intérêts conservateurs, ceux qui le combattent, qui l’ont précédé au pouvoir, ne sont pas moins libéraux que lui ; ils seraient même plus libéraux sur bien des points. Entre eux, c’est plutôt une affaire de nuances et de conduite. Au fond, c’est toujours la politique de la monarchie constitutionnelle.

L’Italie se tient justement pour satisfaite de l’indépendance qu’elle a conquise avec Victor-Emmanuel et des institutions qui lui assurent, avec la paix intérieure, plus de liberté qu’aucun autre régime ne pourrait lui en donner. Ce qu’elle a de mieux à désirer aujourd’hui, c’est qu’on s’occupe de ses finances, de son organisation administrative, du développement de son commerce, de son industrie, de la transformation économique des régions trop négligées jusqu’ici, et parmi ces régions la première est toujours cette province de Sicile sur laquelle une enquête parlementaire a été ordonnée, qui vient d’être l’objet d’un rapport aussi substantiel qu’instructif de M. Bonfadini. Conditions économiques, régime de la propriété rurale et des industries, mœurs administratives, désordres invétérés, organisation du vagabondage et du brigandage, tout est décrit dans ce rapport de M. Bonfadini avec une sagacité lumineuse, d’un trait ferme et souvent pittoresque. Le gouvernement italien a certes de quoi s’occuper utilement en Sicile, et pour mener l’œuvre jusqu’au bout, malgré les progrès réels accomplis depuis quinze ans, il faudra encore l’activité persévérante de plus d’un parlement et de plus d’un ministère. CH. DE MAZADE.