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l’ouverture du tunnel du Mont-Cenis (octobre 1871) n’a pas encore produit les heureux effets qu’on en attendait pour l’exportation des anthracites en Italie. On apprit d’abord que la gare de Modane était fermée aux expéditions du commerce local, et qu’on devait les faire de la gare de la Praz ou de celle de Saint-Michel ; ensuite les compagnies refusaient d’appliquer aux anthracites de la Maurienne le tarif commun à prix réduit établi pour les expéditions des charbons de la Loire et de Saône-et-Loire. Il en résulte que ces derniers, malgré un parcours plus long, arrivent à Turin avec des frais de transport à peine supérieurs à ceux des anthracites, et la différence est trop faible pour permettre la lutte. Les compagnies y perdent le surcroît de trafic que leur promet cette exportation, qui se développerait à vue d’œil en favorisant la naissance de la grande industrie en Italie, et le pays voit s’en aller les charbons de la Loire, qui suffisent à peine aux besoins de la consommation française depuis qu’ils connaissent le chemin de Turin, tandis qu’il serait sage de les garder et d’envoyer à leur place les anthracites.

Quand il est question de la houille, l’exportation vraiment profitable aux intérêts généraux du pays, c’est celle qui se fait par mer. Nos charbons pourront nous reconquérir la Méditerranée, en faire, dans un certain sens, un lac français. Pourquoi laisser plus longtemps aux Anglais le monopole du grand commerce dans ces parages ? En ces matières, il s’agit de vouloir. Mais il faut que l’opinion soit éclairée, que les idées justes fassent leur chemin. Ne nous lassons pas de redire ce qui peut et doit être tenté : à force de répéter qu’une chose peut se faire, qu’elle devrait se faire, on obtient qu’elle se fasse. Pour accroître notre production houillère et développer l’exportation maritime, il faut surtout donner du courage aux capitaux, qui sont encore trop timides en face d’une entreprise normale et qui autorise de légitimes espérances. Il faut aussi que les compagnies des chemins de fer comprennent combien il serait de leur intérêt de favoriser la circulation des houilles par des tarifs communs aussi bas que possible, c’est-à-dire strictement rémunérateurs. C’est dans les transports à bon marché qu’est l’avenir de notre exportation houillère, auquel est lié celui de notre commerce maritime ; M. de Ruolz a le mérite d’avoir mis ces choses-là en pleine lumière, et il faut souhaiter que son ouvrage ait beaucoup de lecteurs qui consentent à le suivre jusqu’au bout de ses raisonnemens. Lorsqu’on se trouve devant des démonstrations aussi claires et des chiffres aussi éloquens, on ne peut que regretter que la vérité ait généralement besoin d’un temps si long pour se faire jour.


R. RADAU.